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Le CIRCE (Université Paris-Sorbonne) vient de publier
Les minorités littéraires (et autres) en Pologne,
ouvrage hors-série de sa collection Cultures d’Europe centrale,
sous la direction d’Agnieszka
Grudzińska et de Kinga Callebat. J’ai eu l’heureuse surprise d’y
trouver, sous la signature de Krystyna Kłosinska, un article
intitulé : Zapolska à Paris.
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Les
références de cet ouvrage et la façon de se le procurer se trouvent sur le site
de CIRCE, auquel on accède grâce au lien suivant : http://www.circe.paris-sorbonne.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=270&Itemid=19
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Les lecteurs de ce bloc-notes se doutent bien que, formée au
Conservatoire national de
Théâtre de Varsovie (PWST), l’œuvre dramaturgique de Gabriela Zapolska est loin de
m’être inconnue. Qui plus est, alors que je vivais depuis déjà plusieurs années
à Paris et tandis que je cherchais à adapter cette formation à la langue et au
contexte français, j’ai enfin pu tenir entre les mains ses chroniques
journalistiques, puis sa correspondance, publiées en Pologne en 1958 et en
1970, respectivement.
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Ce fut pour moi comme une révélation. Non seulement Zapolska
avait écrit des pièces de théâtre et des romans, mais elle avait été actrice pendant
une vingtaine d’années, et joué dans plus de 200 pièces. Une de ses motivations
premières à Paris avait été d’y monter sur les planches. Elle s’était battue
avec les mots et la prononciation. Je comprenais ce que cela voulait dire. A
plus d’un siècle de distance, l’enseignement que lui avaient prodigué des
professeurs de la Comédie-Française
ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui qui m’était aujourd’hui proposé.
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Inutile de dire l’avidité avec laquelle j’ai avalé ces
quelques mille pages rédigées au cours de son séjour en France… Au risque
éventuel de m’identifier. Mais c’est là où la discipline d’un parcours
universitaire a du bon – non pas s’identifier mais éveiller des résonances et
de les faire partager : transformée en lectures-spectacles, la traduction
de ses lettres et de ses articles, si personnels et vivants, s’est vue savourée
par un public de Français amoureux de l’histoire de leur capitale – voire de
Bretons sous le charme des descriptions qu’elle a faites de leur région et des coutumes
d’alors.
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Métamorphose de Zapolska à Paris
Krystyna Kłosinska a mis le doigt sur l’importance
de son séjour parisien pour Zapolska :
une métamorphose commencée dans les pires conditions,
préludant à un retour au pays de façon quasi triomphante.
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Elle nous montre aussi comment, à la lecture de ses
chroniques journalistiques, des historiens de la littérature ont eu tendance à
déceler la trame d’un roman d’apprentissage (Bildungsroman).
En revanche, la correspondance de Zapolska laisse la place à un récit
plus insolite, à base de balancements entre son pays, dont elle se sent exilée
mais garde une poignante nostalgie, et des Parisiens parmi lesquels elle se
trouve d’abord isolée puis adoptée – mais encore étrangère.
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Sa relation avec le peintre Paul Sérusier permet à une plus
grande familiarité avec les gens et les lieux de se construire. Ce que
l’auteure de l’article sur Zapolska formule ainsi : le
sujet en crise a surmonté la crise ; le moi est en
mesure de choisir les siens. C’est
notamment ce qu’elle fera à son retour en Pologne, vis-à-vis de marginaux et
d’exclus.
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Trop tard ? Trop tôt ?
J’avais particulièrement apprécié que l’on ait choisi, pour
l’exposition que le Musée de la Littérature de Varsovie lui a
consacrée d’avril à juillet 2011, le titre Gabriela Zapolska –
Zbuntowany talent / Un talent en révolte.
Elle avait incontestablement du talent. Elle s’est battue à de multiples
reprises. Ne serait-ce pas dû à sa position singulière au sein du monde
littéraire polonais ? Comme il aurait été confortable de laisser son
talent s’exprimer alors qu’un courant vous porte.
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A ses débuts, les Positivistes polonais tenaient encore le haut du pavé –
c’est peu dire que les plus conservateurs d'entre-eux n’ont pas épargné Zapolska. Elle a été cataloguée
comme naturaliste
– un Zola polonais – ce qui n’était alors en rien un compliment. Elle
est arrivée avant qu’un nouveau courant, la Jeune Pologne, ne prenne un véritable essor. Même si elle
semble en partie l’annoncer, elle n’en bénéficiera pas véritablement. En
position minoritaire – pour reprendre le thème de la publication dont j’ai
signalé la toute récente sortie. Le fait est que, longtemps, elle est
restée isolée par rapport aux mouvements littéraires de son époque.
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J’aimerais prolonger la réflexion de Krystyna Kłosinska
sur cette métamorphose que ses années parisiennes ont initiée chez Zapolska,
et en élargir l’horizon temporel.
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Elle veut initialement prendre une revanche et se réaliser –
surtout en tant qu’actrice : elle veut mettre Paris à ses pieds.
De retour en Pologne, elle continuera de jouer pendant un petit nombre
d’années. Ce qui semble nouveau vient de ce qu’elle revient avec quelque chose
dont elle se fait la promotrice. Et aussi que, du jeu sur scène, la priorité
passe – avec davantage de succès – à l’écriture. Deux façons en quelque sorte
de féconder l’avenir.
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Une
pionnière du renouveau du théâtre polonais
En 1902,
elle crée une école dont le but est de préparer des acteurs pour un théâtre
qu’elle veut fonder. A lire les nombreux articles et commentaires dans les
journaux de l’époque, cette entreprise suscite un grand intérêt. Elle
écrit : J’ai des élèves
intelligents […] C’est le début du Théâtre Libre, auquel
nous avons rêvé depuis des années. Ses méthodes de travail s’appuient
sur son expérience parisienne – d’une part, à l’école de Talbot, de la Comédie-Française ; d’autre part, celle qui lui
venait d’Antoine. Un an après, elle fonde La Scène Libre. Ces entreprises sont bien
accueilles par le public mais pour des raisons de santé ainsi que financières,
le projet s’arrête.
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Le temps
passe, la Pologne recouvre son indépendance. Zapolska n’a
plus que quelques années à vivre. Jan
Lorentowicz, qui fut
l’un de ses proches et amis du temps de son séjour en France, et qui
connaissait lui aussi les méthodes d’Antoine, est nommé directeur du théâtre Rozmaitości, à Varsovie. En collaboration avec
d’autres personnalités du monde du théâtre, cela aboutit à la création de Reduta – lieu d’expériences théâtrales que
l’on considère être à l’origine d’une renaissance de la mise en scène pour le
théâtre polonais. Il est symptomatique que Lorentowicz
engage quelques-uns des acteurs formés à l’école privée de Zapolska : Maria
Dulęba et Jozef Węgrzyn, qui deviennent, à ses débuts, les piliers du théâtre Reduta.
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Métamorphose
qui résiste à l’épreuve du temps
Déjà, en
1892, Zapolska s’exclame : Je suis persuadée que ceux qui écrivent vivent des siècles
entiers dans la mémoire des hommes. Que reste-t-il des acteurs ? Une
poignée de poussière dont on ne se souvient à peine ! Lorsque je pense à
George Sand, il me semble qu’elle n’est pas morte […] Lorsque je pense à
Rachel, je ne vois que des os. Puisqu’il nous est donné de mourir, mourons en
beauté et, après la mort, soyons une belle légende.
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Ses pièces
de théâtre les mieux connues datent de la première décennie du 20ème
siècle. Ce qui me semble frappant est leur capacité à traverser le temps et
d’avoir à chaque époque su attirer vers elles des metteurs en scène et des
acteurs parmi les meilleurs. Dès leur création, elles ont été bien accueillies,
jouées et rejouées. Elles ne sont pas de ces œuvres qui disparaissent
rapidement. Ainsi, Moralnośc pani Dulskiej a été reprise une cinquantaine de fois de 1918 à 1945 – et
souvent pour plusieurs dizaines de représentations. On trouvera d’excellentes
raisons de circonstance – ne serait-ce qu’idéologiques – pour en expliquer le
maintien au répertoire jusqu’à la Chute du Mur…
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Mais ces
raisons suffisent-elles ? Et depuis, de nouvelles reprises ou adaptations
qui s’en inspirent n’ont pas fait défaut ces dernières années. Cette
année même, l’Université de Katowice (dont Krystyna Kłosinska) a exhumé et fait
imprimer des pièces tardives de Gabriela Zapolska, qui n’avaient
jamais encore été publiées ; Nerwowa Awentura ;
Pariasy ; Carewicz ; Asystent. Ces textes recèlent à mon
sens de vrais bijoux.
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Femme de
lettres, journaliste, épistolière ou actrice, elle était dotée d’une
remarquable résilience face à l’isolement et à l’adversité – unguibus et rostro : autrement dit, bec et ongles, telle était sa devise. Gabriela Zapolska a su, de son vivant comme l’a
souligné Krystyna Kłosinska, transcender le statut de personne à exclure dont on a
initialement été tenté de l’affubler.
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Et, comme
je le pense et viens de le montrer, son œuvre a aussi su transcender, dans la
durée, les modes propres à chaque époque – cela malgré qu’il soit difficile de
la rattacher à un courant majeur qui lui aurait apporté une caution littéraire
ou culturelle. Bien que minoritaire
en quelque sorte, puisqu’on ne sait pas clairement rattacher Gabriela Zapolska aux Positivistes, aux Symbolistes, à Młoda Polska… ni même en fin de compte, comme on
a tenté de l’y cantonner de manière péjorative, aux Naturalistes.
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