Juliette :
Mon amour,
Il ne peut y avoir pour moi de bonheur
plus grand que celui que j’ai goûté tantôt auprès de toi, que celui d’être tout
à fait dans tes bras, ta bouche sur ma bouche, ta voix dans la mienne, tes yeux
sur les miens, ton cœur sur mon cœur, ton âme dans mon âme. Je t’aime mon adoré
plus qu’aucun mot, aucune expression ne peut te l’exprimer. Tout le dire tu
peux imaginer, tout ce que tu peux désirer n’approche pas de la réalité.
Victor :
Ces lettres sont tout mon cœur, tout ce
que j’ai jamais écrit de plus vrai et de plus profondément senti. Ce sont mes
entrailles, c’est mon sang, c’est ma vie et ma pensée, c’est ma trace de toi
dans moi. Je veux que cette trace de ta vie dans la mienne reste. Je veux qu’on
la retrouve un jour quand nous ne serons plus que cendres tous les deux. Quand
cette révélation ne pourra plus briser le cœur de personne, je veux qu’on sache
que je t’ai aimée, que je t’ai estimée, que j’ai baisé tes pieds, que j’ai eu
le cœur plein de culte et d’adoration pour toi.
Et encore :
Nous faisons chacun de notre côté notre
petit travail : toi, tu composes un chef-d’œuvre, moi, je t’aime. Il me
semble que mon œuvre ne sera pas inférieure à la tienne. (Juliette)
Si mon nom vit, ton nom vivra.
(Victor).
A l’heure des réécritures et d’adaptations pour le théâtre,
de romans, de faits divers, réels et inventés, j’ai été charmée de découvrir
une pièce captivante, jouée actuellement au théâtre Comédie-Bastille, Victor Hugo, mon amour.
Cette adaptation passionnée et vivante d’Anthéa Sogno, s’appuie sur l’abondante
correspondance échangée entre Victor Hugo et l’actrice Juliette Drouet, au cours
des quelques cinquante années que dura leur union.
Écrite adroitement, la pièce attire notre attention non
seulement par une exécution rigoureuse et rôdée des acteurs : d’Anthéa
Sogno dans le rôle de Juliette et de Sacha Petronijevic, en alternance avec Christophe
De Mareuil, dans le rôle de Victor Hugo, mais par la manière de traiter la
chair même du récit, tel qu’il transparaît dans les lettres que s’adressaient
les deux amants : il se déroule sur le fond romantique de l’époque et nous
remémore en même temps la vie de Victor Hugo, son engagement politique et
social, et la création de son œuvre littéraire.
Ce qui m’a plu en plus dans ce spectacle, c’est l’initiative
de faire connaître et de faire partager d’une manière ardente et enjouée, le
personnage d’une femme, Juliette Drouet, méconnue du large public, trop souvent mise en arrière-plan, et pourtant si présente et mêlée à la vie d’un homme dont
l’œuvre a marqué durablement le temps.
Vouloir prêter vie sur scène à Juliette Drouet, partenaire
de ce grand homme qu’est Victor Hugo, et nous la faire aimer, était une gageure
de taille, tenue par Anthéa Sogno, et à son initiative. Le succès de la pièce
doit à son enthousiasme et à son talent. Elle en est l’adaptatrice, et son
interprète. La mise en scène est de Jacques Décombe.
Allant au-delà du seul spectacle, elle vient à la fin avec une fougue contenue et une grande sincérité intérieure, inviter
les spectateurs présents à en prolonger l’élan – voire suggérer aux élus locaux
de donner le nom de Juliette Drouet, qui à une rue, qui à une bibliothèque, qui
à… On sent un souffle passer.
Compagnie Anthéa Sogno – 06 0367 2050.
Comédie-Bastille – 01 4807 5207
5, rue Nicolas Appert, 75011 Paris, Métro Richard Lenoir.
L'illustration rassemble Juliette Drouet en 1833, alors qu'elle est engagée pour jouer dans Lucrèce Borgia et Marie Tudor que Victor Hugo vient d'écrire ; Victor Hugo encore jeune écrivain - puis une quarantaine d'années plus tard.