samedi 4 août 2012

Pavillon théâtral (Expo 1889)

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Les lecteurs de ce bloc-notes le savent amplement : lorsqu’elle arrive à Paris en 1889 comme correspondante de journaux varsoviens, Gabriela Zapolska trouve un sujet en or – l’Exposition Universelle de 1889 vient de s’ouvrir. Mais, actrice qui vient de passer une dizaine d’années sur les planches en Pologne, elle a une autre motivation au moins aussi importante : le théâtre – elle veut jouer sur scène en français à Paris et gagner ainsi une belle notoriété dans ce métier.
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Dès qu’elle apprend que l’Exposition Universelle abrite un pavillon théâtral, elle s’y dirige naturellement, attirée comme le loup vers la forêt, écrit-elle. Ce qui nous vaut un article particulièrement intéressant – et pas seulement pour les spécialistes du théâtre – qui a paru dans Kurier Warszawski, au mois d’octobre de la même année.
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Article intéressant dans la mesure déjà où il est difficile de trouver ailleurs un compte rendu sur ce pavillon : même un critique dramatique comme Jules Lemaître reconnaît, dans ses délicieux Billets du Matin (près de 200 pages) qui couvrent cette période, s’être rendu près d’une quarantaine de fois à l’Exposition Universelle et ne pas y avoir tout vu… Pas un mot notamment sur ledit pavillon. Or celui-ci, situé dans le Palais des Beaux-Arts, faisait novation et se révélait d’une richesse incomparablement autre que ce qui avait été exposé sur ce sujet lors de l’Exposition Universelle précédente, en 1878.
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Article intéressant, comme on s’en doute, du fait de sa curiosité que Zapolska nous fait partager, sur un sujet qui la fait vibrer. Intérêt démultiplié aussi par le talent avec lequel elle met en scène son parcours au sein du pavillon. Ce n’est pas pour rien qu’au cours des précédentes années elle a vécu du théâtre, en jouant bien sûr mais en commençant à écrire ses propres pièces aussi, ainsi que des transpositions en polonais qu’elle faisait de pièces étrangères – françaises principalement – pour la troupe qui l’avait accueillie.
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À certains endroits de cet article journalistique, on croit presque reconnaître des didascalies – ces commentaires par lesquels l’auteur d’une pièce de théâtre note quelques points qu’il lui semble important de souligner pour le metteur en scène (ici : pour le lecteur). Et Zapolska sait en même temps capter une situation concrète – la présence d’un groupe scolaire de jeunes anglaises qui perturbent l’attention des autres visiteurs – afin de créer une tension dramatique qui fournit un fil rouge tout au long de l’article… Au point qu’à un certain moment, elle se trouve obligée de parcourir cette exposition théâtrale à l’envers.
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Celle-ci a été rendue possible grâce, surtout, à des prêts de la Comédie-Française et de l’Opéra. Elle couvre l’ensemble du domaine : affiches, maquettes, bustes et portraits d’acteurs des 18e et 19e siècles, marionnettes, bijoux et costumes du théâtre et de l’Opéra, manuscrits d’auteurs, partitions de compositeurs, transcription des rôles mis sous les yeux des souffleurs…
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Extraits (traduction que j’ai adaptée en compagnie de M. Arturo Nevill) :
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Au centre même du Palais des Arts libéraux, il y a une rotonde et un petit pavillon attenant. Cette rotonde, une sorte de tente, est dotée d’un perron circulaire qui permet d’en faire le tour. Sur cette paroi, on a arrangé de petites maquettes de scène de façon panoramique, où sont disposés des décors utilisés à l’Opéra de Paris.
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En le parcourant, j’ai eu envie de noter comment s’appelaient certains décors, parmi les plus beaux, magnifiquement réalisés, quant à la perspective notamment. Mais un groupe de jeunes anglaises m’a poussée, comme un troupeau de jeunes poulains, en criant et en se bousculant sans faire attention. […] Ces petites miss avec leurs coiffes bleu-marine se retrouvaient en permanence dans mes jambes. […] En voyant leurs couvre-chefs bleu-marine, les Français se sauvent en criant : « Ohée ! Les Anglais ! » – et ils ont parfaitement raison.
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[…] Ce qui m’a d’abord saisie a été une figure en cire de grandeur nature d’un bel homme en habit de velours noir. C’était Mounet-Sully, la coqueluche des parisiens, l’étoile de la Comédie Française […] Le héros tragique est ici représenté dans le rôle d’Hamlet et sa représentation en pied est empruntée au célèbre Musée Grévin. Une foule de femmes se presse devant cette figurine en joignant les mains comme pour une prière. Il est beau… rien à dire. Mais plus beau encore est son talent, doublé d’intelligence, par lequel il charme et ravit les spectateurs.
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[…] Les coiffes bleu-marine se retrouvent de nouveau dans mes jambes. Bien malgré moi, je dois me soumettre à leur tyrannie et commencer par la fin […] pour terminer par le début de l’exposition – c’est-à-dire, par Molière.
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[…] Sur une étagère, une effigie de Talma avec cette légende : « Talma, dans le rôle de Marigny, 1805 ». Cette petite statuette en cire de Talma garde une extraordinaire ressemblance, quant aux traits de son visage, ici grimé de fards de scène. Sans doute utilisait-on alors de gros effets, car le visage de l’artiste donne l’impression  d’un masque de clown de cirque.
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[…] Un buste d’Halévy [celui qui a créé des opéras comme la Juive, la Dame de Pique…] et, au-dessus de lui, le tableau d’une répétition générale dans la salle Ventadour en 1847 [au début du 19e siècle, l’opéra à l’italienne se jouait dans plusieurs salles à Paris ; après l’incendie de la salle Favart en 1838, l’Opéra a commencé à donner des spectacles dans la salle Ventadour, puis à l’Odéon ; la salle Ventadour est celle d’un théâtre, non loin de l’Opéra Garnier – depuis reconvertie.] Nous voyons que la salle était remplie au moment des répétitions générales – selon moi, c’était nécessaire, dans la mesure où on voulait éviter de donner l’impression qu’il s’agissait… d’une répétition générale.
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[…] C’est sur Molière que se termine ce qui est exposé dans la rotonde. Il ne roule pas des yeux ni ne cherche à séduire [allusion à l’attitude d’une « coquette », décrite juste avant] – mais il pense… et, grâce à cette pensée, sa statue s’impose pour la postérité.
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Il me faut aussi mentionner la collection d’Édouard Pasteur.  Tous les acteurs de la Comédie-Française [de l’époque] y sont représentés – ce sont des portraits à l’aquarelle, très bien rendus [sont notamment mentionnés : Clarétie, Samary, Mounet-Sully, Sarah Bernhardt, Worms…] Au-dessous de cette lettre, on découvre, de plus, la tête énergique de Zola qui, bec et ongles, s’est octroyé cette place d’honneur.
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[…] Il y a encore les plans des principaux théâtres, une salle de l’époque impériale – simple et dépouillée, blanche du fait de ses colonnes – ainsi que l’intérieur de la Comédie-Française en 1790. Quelques pianos forte Pleyel de 1809…
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Zapolska conclut sur quelques réflexions qui lui sont personnelles :
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Il flotte comme le souvenir de cette délectation qu’apporte depuis toujours la fine fleur des artistes.
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Ils se sont tous rencontrés ici, aussi bien les créateurs que ceux qui le mettent en œuvre. Mais ce n’étaient pas de simples artisans, ce n’était pas pour le gain qu’ils se produisaient devant la foule des spectateurs pour, avec ces derniers, se laisser imprégner par harmonie du chant et celle de la parole. C’est pour cette raison que le charme dans lequel baigne cette partie de l’exposition est si puissant, car là se trouve la demeure du génie ! Celle d’un art authentique s’appuyant sur l’intelligence – et sur un sentiment vrai.
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Illustration (dans le sens des aiguilles d’une montre) : Sarah Bernhardt, Molière, Mounet-Sully, Talma.
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jeudi 5 juillet 2012

Pour Maurice Chevit

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Il est des moments où l’Histoire – en lettres majuscules – vient frapper à votre histoire personnelle. C’est ce qui me semble clairement s’être passé pour Maurice Chevit.
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Né en 1923 à Paris, il vient de s’éteindre lundi dernier : ses obsèques sont célébrées ce vendredi 6 juillet, à 14h30, à l’église Saint-Pierre de Charenton.
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Adolescent, le chemin devient vite escarpé entre ses origines, son engagement, sa rencontre avec Pauline, la prison, sa conversion, la Guerre, la Résistance, son frère arrêté et déporté…
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Viendront ensuite la vie avec Pauline, la famille, le parcours professionnel – mais tout aussi bien ce trésor de bonté que tous lui reconnaissent... et l'ouverture à de nouveaux engagements auxquels il nous invite – aujourd’hui même, encore et manifestement – à participer : aux fleurs, il est préféré des dons à Amnesty International ou à ATD Quart-Monde.
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C’est à l’occasion d’une conjonction, beaucoup plus modeste, de mon histoire personnelle et de l’Histoire, que j’ai eu la chance de rencontrer Maurice. Comédienne venant de faire ses débuts à Varsovie, projetée à Paris, coupée de ma langue maternelle et de l’expression par la parole – il m'a évoqué ses racines familiales juives dans la ville de Radom ; il m’a orientée ; lui et Pauline ont eu la gentillesse de m’inviter chez eux.
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Acteur apprécié et aimé, il était animé par une foi chrétienne qui n’était pas celle d’un renfermement au sein d’une religion, animé par une foi tournée vers les autres.
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Ceux qui l’ont connu au cours des années ’70 au sein de l’association UCTM – l’Union Catholique du Théâtre et de la Musique – parlent de lui comme d’un fer de lance, animant des débats passionnants et avançant des arguments remarquables.
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C’est vers la même époque que – ayant constaté, dit-on, que la lecture des textes évangéliques, au cours d'un mariage, avait laissé à désirer – il a pris l’initiative de créer des Ateliers de la Parole, animés par des acteurs professionnels, à l’intention de laïcs, et de prêtres. Au-delà de lui, cette activité se poursuit toujours actuellement.
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L'illustration de ce billet rassemble l'affiche de la pièce Brooklyn Boy (à la Comédie des Champs-Élysées), à l'occasion de laquelle Maurice Chevit a reçu de nouveau le Molière du second rôle en 2005, et une photographie prise de la couverture du livre autobiographie paru aux Éditions de la Lagune en 2008 (J'm'arrête pas, j'suis lancé).

Pour qui ne souhaite pas se contenter de la reprise à satiété sur Internet, ou de la paraphrase du communiqué de l’AFP, se reporter notamment :
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Au blog de Pascale Fournier (journaliste et animatrice de radio)
A celui d’Armelle Héliot (critique théâtrale au Figaro)
A celui de Carmadou (un couple qui fait partager lectures, sorties)
A celui de Rémi C. (s’intéresse à la chanson, aux seconds rôles...)
A l’article d’Alain Riou dans le Nouvel Observateur
A celui de Stéphane Dreyfus dans la Croix

vendredi 22 juin 2012

Métamorphoses de Zapolska

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Le CIRCE (Université Paris-Sorbonne) vient de publier Les minorités littéraires (et autres) en Pologne, ouvrage hors-série de sa collection Cultures d’Europe centrale, sous la direction dAgnieszka Grudzińska et de Kinga Callebat. J’ai eu l’heureuse surprise d’y trouver, sous la signature de Krystyna Kłosinska, un article intitulé : Zapolska à Paris.
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Les références de cet ouvrage et la façon de se le procurer se trouvent sur le site de CIRCE, auquel on accède grâce au lien suivant : http://www.circe.paris-sorbonne.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=270&Itemid=19
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Les lecteurs de ce bloc-notes se doutent bien que, formée au Conservatoire national de Théâtre de Varsovie (PWST), l’œuvre dramaturgique de Gabriela Zapolska est loin de m’être inconnue. Qui plus est, alors que je vivais depuis déjà plusieurs années à Paris et tandis que je cherchais à adapter cette formation à la langue et au contexte français, j’ai enfin pu tenir entre les mains ses chroniques journalistiques, puis sa correspondance, publiées en Pologne en 1958 et en 1970, respectivement.
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Ce fut pour moi comme une révélation. Non seulement Zapolska avait écrit des pièces de théâtre et des romans, mais elle avait été actrice pendant une vingtaine d’années, et joué dans plus de 200 pièces. Une de ses motivations premières à Paris avait été d’y monter sur les planches. Elle s’était battue avec les mots et la prononciation. Je comprenais ce que cela voulait dire. A plus d’un siècle de distance, l’enseignement que lui avaient prodigué des professeurs de la Comédie-Française ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui qui m’était aujourd’hui proposé.
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Inutile de dire l’avidité avec laquelle j’ai avalé ces quelques mille pages rédigées au cours de son séjour en France… Au risque éventuel de m’identifier. Mais c’est là où la discipline d’un parcours universitaire a du bon – non pas s’identifier mais éveiller des résonances et de les faire partager : transformée en lectures-spectacles, la traduction de ses lettres et de ses articles, si personnels et vivants, s’est vue savourée par un public de Français amoureux de l’histoire de leur capitale – voire de Bretons sous le charme des descriptions qu’elle a faites de leur région et des coutumes d’alors.
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Métamorphose de Zapolska à Paris
Krystyna Kłosinska a mis le doigt sur l’importance de son séjour parisien pour Zapolska : une métamorphose commencée dans les pires conditions, préludant à un retour au pays de façon quasi triomphante.
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Elle nous montre aussi comment, à la lecture de ses chroniques journalistiques, des historiens de la littérature ont eu tendance à déceler la trame d’un roman d’apprentissage (Bildungsroman). En revanche, la correspondance de Zapolska laisse la place à un récit plus insolite, à base de balancements entre son pays, dont elle se sent exilée mais garde une poignante nostalgie, et des Parisiens parmi lesquels elle se trouve d’abord isolée puis adoptée – mais encore étrangère.
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Sa relation avec le peintre Paul Sérusier permet à une plus grande familiarité avec les gens et les lieux de se construire. Ce que l’auteure de l’article sur Zapolska formule ainsi : le sujet en crise a surmonté la crise ; le moi est en mesure de choisir les siens. C’est notamment ce qu’elle fera à son retour en Pologne, vis-à-vis de marginaux et d’exclus.
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Trop tard ? Trop tôt ?
J’avais particulièrement apprécié que l’on ait choisi, pour l’exposition que le Musée de la Littérature de Varsovie lui a consacrée d’avril à juillet 2011, le titre Gabriela Zapolska – Zbuntowany talent / Un talent en  révolte. Elle avait incontestablement du talent. Elle s’est battue à de multiples reprises. Ne serait-ce pas dû à sa position singulière au sein du monde littéraire polonais ? Comme il aurait été confortable de laisser son talent s’exprimer alors qu’un courant vous porte.
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A ses débuts, les Positivistes polonais tenaient encore le haut du pavé – c’est peu dire que les plus conservateurs d'entre-eux n’ont pas épargné Zapolska. Elle a été cataloguée comme naturaliste – un Zola polonais – ce qui n’était alors en rien un compliment. Elle est arrivée avant qu’un nouveau courant, la Jeune Pologne, ne prenne un véritable essor. Même si elle semble en partie l’annoncer, elle n’en bénéficiera pas véritablement. En position minoritaire – pour reprendre le thème de la publication dont j’ai signalé la toute récente sortie. Le fait est que, longtemps, elle est restée isolée par rapport aux mouvements littéraires de son époque.
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J’aimerais prolonger la réflexion de Krystyna Kłosinska sur cette métamorphose que ses années parisiennes ont initiée chez Zapolska, et en élargir l’horizon temporel.
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Elle veut initialement prendre une revanche et se réaliser – surtout en tant qu’actrice : elle veut mettre Paris à ses pieds. De retour en Pologne, elle continuera de jouer pendant un petit nombre d’années. Ce qui semble nouveau vient de ce qu’elle revient avec quelque chose dont elle se fait la promotrice. Et aussi que, du jeu sur scène, la priorité passe – avec davantage de succès – à l’écriture. Deux façons en quelque sorte de féconder l’avenir.
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Une pionnière du renouveau du théâtre polonais
En 1902, elle crée une école dont le but est de préparer des acteurs pour un théâtre qu’elle veut fonder. A lire les nombreux articles et commentaires dans les journaux de l’époque, cette entreprise suscite un grand intérêt. Elle écrit : J’ai des élèves intelligents […] C’est le début du Théâtre Libre, auquel nous avons rêvé depuis des années. Ses méthodes de travail s’appuient sur son expérience parisienne – d’une part, à l’école de Talbot, de la Comédie-Française ; d’autre part, celle qui lui venait d’Antoine. Un an après, elle fonde La Scène Libre. Ces entreprises sont bien accueilles par le public mais pour des raisons de santé ainsi que financières, le projet s’arrête.
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Le temps passe, la Pologne recouvre son indépendance. Zapolska n’a plus que quelques années à vivre. Jan Lorentowicz, qui fut l’un de ses proches et amis du temps de son séjour en France, et qui connaissait lui aussi les méthodes d’Antoine, est nommé directeur du théâtre Rozmaitości, à Varsovie. En collaboration avec d’autres personnalités du monde du théâtre, cela aboutit à la création de Reduta – lieu d’expériences théâtrales que l’on considère être à l’origine d’une renaissance de la mise en scène pour le théâtre polonais. Il est symptomatique que Lorentowicz engage quelques-uns des acteurs formés à l’école privée de Zapolska : Maria Dulęba et Jozef Węgrzyn, qui deviennent, à ses débuts, les piliers du théâtre Reduta.
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Métamorphose qui résiste à l’épreuve du temps
Déjà, en 1892, Zapolska s’exclame : Je suis persuadée que ceux qui écrivent vivent des siècles entiers dans la mémoire des hommes. Que reste-t-il des acteurs ? Une poignée de poussière dont on ne se souvient à peine ! Lorsque je pense à George Sand, il me semble qu’elle n’est pas morte […] Lorsque je pense à Rachel, je ne vois que des os. Puisqu’il nous est donné de mourir, mourons en beauté et, après la mort, soyons une belle légende.
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Ses pièces de théâtre les mieux connues datent de la première décennie du 20ème siècle. Ce qui me semble frappant est leur capacité à traverser le temps et d’avoir à chaque époque su attirer vers elles des metteurs en scène et des acteurs parmi les meilleurs. Dès leur création, elles ont été bien accueillies, jouées et rejouées. Elles ne sont pas de ces œuvres qui disparaissent rapidement. Ainsi, Moralnośc pani Dulskiej a été reprise une cinquantaine de fois de 1918 à 1945 – et souvent pour plusieurs dizaines de représentations. On trouvera d’excellentes raisons de circonstance – ne serait-ce qu’idéologiques – pour en expliquer le maintien au répertoire jusqu’à la Chute du Mur
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Mais ces raisons suffisent-elles ? Et depuis, de nouvelles reprises ou adaptations qui s’en inspirent n’ont pas fait défaut ces dernières années. Cette année même, l’Université de Katowice (dont Krystyna Kłosinska) a exhumé et fait imprimer des pièces tardives de Gabriela Zapolska, qui n’avaient jamais encore été publiées ; Nerwowa Awentura ; Pariasy ; Carewicz ; Asystent. Ces textes recèlent à mon sens de vrais bijoux.
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Femme de lettres, journaliste, épistolière ou actrice, elle était dotée d’une remarquable résilience face à l’isolement et à l’adversité – unguibus et rostro : autrement dit, bec et ongles, telle était sa devise. Gabriela Zapolska a su, de son vivant comme l’a souligné Krystyna Kłosinska, transcender le statut de personne à exclure dont on a initialement été tenté de l’affubler.
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Et, comme je le pense et viens de le montrer, son œuvre a aussi su transcender, dans la durée, les modes propres à chaque époque – cela malgré qu’il soit difficile de la rattacher à un courant majeur qui lui aurait apporté une caution littéraire ou culturelle. Bien que minoritaire en quelque sorte, puisqu’on ne sait pas clairement rattacher Gabriela Zapolska aux Positivistes, aux Symbolistes, à Młoda Polska… ni même en fin de compte, comme on a tenté de l’y cantonner de manière péjorative, aux Naturalistes.
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samedi 12 mai 2012

L’Association Seine-Vistule

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Le Coffre Vert > Traduction-Europe centrale > Seine-Vistule
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Vous le voyez en haut de l’écran : ce bloc-notes s’intitule Seine & Vistule. Je l’ai commencé fin 2008. C’est aussi, à peu de choses près, le titre d’une association 1901 dont j’ai pris l’initiative voici déjà 20 ans : Seine-Vistule.
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Cela avait commencé sous le nom de Coffre Vert… celui d’une émission la Télévision polonaise, plusieurs années auparavant, qui était consacrée à un acteur et dans laquelle j’avais eu un rôle assez conséquent. Au hasard d’un changement de lieu, l’association est devenue Traduction Europe centrale, avant d’en arriver à sa dénomination actuelle.
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Seine-Vistule évoque un pont invisible entre deux fleuves majeurs de ces deux pays que mon âme et moi habitons en alternance – et qui nous habitent. Il est arrivé à quelques personnes de me considérer amicalement comme une d’ambassadrice de la culture. Je n’ai pas cette prétention. Mon association, a pour but de porter à la connaissance du public français et francophone, des traductions de pièces de théâtre ou de textes littéraires polonais.
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Traduction, manifestations, publication, sensibilisation
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Bien des traducteurs vous le diront : la qualité d’un tel travail passe au niveau au-dessus à partir du moment où l’on réussit à allier une excellente connaissance de la langue de départ et tout autant pour la langue d’arrivée. J’ai eu, dès les années ’70, la chance de pouvoir traduire en collaboration avec Madame Jeanne Bernava, professeure de lettres certifiée au lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-Bois puis Montaigne à Paris. Elle m’a fait faire des progrès inestimables, notamment pour trouver le mot juste en toute occasion. Nous avons ainsi traduit cinq pièces de théâtre du répertoire polonais : Murzyn (Jim le Noir) de Jerzy Szaniawski, Garść piasku (Une poignée de sable) puis Czy masz ochotę na miłość (Veux-tu ?) de Jerzy Przeździecki, Skiz (Tarot) de Gabriela Zapolska, Kim Pani jest? (Qui êtes-vous, Madame ?) d’Andrzej Niedoba.
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Devenue Seine-Vistule, l’association a depuis contribué à ce qu’une Poignée de sable de Jerzy Przeździecki soit créée à Paris, présentée au public de l’Art Studio Théâtre, dans la mise en scène de Kazem Shariari, et diffusé par la France Culture, grâce à une réalisation de Michel Sidoroff. Cette traduction avait bénéficié d’une aide à la création du Ministère français de la Culture. Par ailleurs, Jim Le Noir de Jerzy Szaniawski a été donné en lecture publique au Théâtre à Dire d’Alain Michel.
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Depuis le début des années 2000, une autre collaboration a apporté un souffle différent à ces traductions : celle d’Arturo Nevill. Sa maîtrise du français et quelques bonnes notions de langue polonaise ont permis d’approfondir le rendu des textes, dans la perspective de lectures ou de spectacles devant un public français.
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Nos apports se sont conjugués pour traduire et publier bon nombre de chroniques journalistiques et de correspondances épistolaires de Gabriela Zapolska. Les lecteurs habituels de ce bloc-notes savent amplement que cette femme de lettres et actrice polonaise nous a laissé plusieurs centaines de pages passionnantes sur le Paris et la France de Fin-de-siècle où elle séjourné quelques années. Ils savent aussi que, quand l’occasion se présente – c’est-à-dire plusieurs fois par an – ces textes sont présentés en français au public sous forme de lectures-spectacles, généralement à Paris ou dans sa région, parfois en province et… c’est arrivé, en polonais à Varsovie même.
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Bénévolat, concours externes, Amis de Seine-Vistule
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Dans la pratique, l’association sert de vitrine à l’activité bénévole que je viens de décrire. C’est par ce biais que les institutions et organismes peuvent formaliser les aspects plus administratifs des concours qu’ils ont l’amabilité de nous prêter (mise à disposition de salles pour les lectures-spectacles par exemple). Mais toute bénévole qu’elle soit, cette activité entraine quelque frais, de papeterie, de communication et de diffusion, par exemple.
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C’est dans cet esprit que, depuis peu de temps, l’association a entrepris de faire appel à celles et ceux qui suivent ce que nous faisons avec sympathie. Cela s’appelle Les Amis de Seine-Vistule. Devenir amie ou ami de Seine-Vistule ne vous embrigade pas dans la machinerie associative mais consiste à nous encourager dans notre activité.
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En contrepartie, cela donne accès à une information plus détaillée sur ce que nous faisons : dossier historique de plusieurs pages sur ce qui a été réalisé depuis les débuts ; un exemplaire du rapport moral de la dernière assemblée générale de l’association (descriptif des activités de l’année passée) ; et, au fil de l’année, quelques informations sur ce qui se mijote et se fait. Le tout par voie électronique pour limiter les frais.
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Que celles et ceux qui se sentent intéressés n’hésitent pas – un courriel / e-mail à l’adresse seine.vistule@orange.fr (attention, ici c’est un point (.) entre seine et vistule), du genre : Merci de m’indiquer la marche à suivre pour devenir Ami(e) de Seine-Vistule … et vous aurez la réponse en retour.
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A bientôt, sans doute.

lundi 23 avril 2012

Printemps de Mira


 
Notre amie Mirosława Niewinska, aux poèmes de qui qui nous avons consacré un précédent billet, a parmi ses talents d’autres cordes à son arc : elle dessine des plantes et des fleurs et aime y joindre des visages féminins dans toute leur jeune beauté. Et, en les stylisant, elle veut transmettre des valeurs universelles d’harmonie, d’énergie positive et de beauté.
 
Revenant de Pologne où le printemps s’éveille en ce moment et verdoie timidement, je trouve que les dessins de Mira sont bienvenus et à propos.



mardi 6 mars 2012

Comédie-Bastille – Victor Hugo, mon amour


Juliette :
Mon amour,
Il ne peut y avoir pour moi de bonheur plus grand que celui que j’ai goûté tantôt auprès de toi, que celui d’être tout à fait dans tes bras, ta bouche sur ma bouche, ta voix dans la mienne, tes yeux sur les miens, ton cœur sur mon cœur, ton âme dans mon âme. Je t’aime mon adoré plus qu’aucun mot, aucune expression ne peut te l’exprimer. Tout le dire tu peux imaginer, tout ce que tu peux désirer n’approche pas de la réalité.

Victor :
Ces lettres sont tout mon cœur, tout ce que j’ai jamais écrit de plus vrai et de plus profondément senti. Ce sont mes entrailles, c’est mon sang, c’est ma vie et ma pensée, c’est ma trace de toi dans moi. Je veux que cette trace de ta vie dans la mienne reste. Je veux qu’on la retrouve un jour quand nous ne serons plus que cendres tous les deux. Quand cette révélation ne pourra plus briser le cœur de personne, je veux qu’on sache que je t’ai aimée, que je t’ai estimée, que j’ai baisé tes pieds, que j’ai eu le cœur plein de culte et d’adoration pour toi.

Et encore :
Nous faisons chacun de notre côté notre petit travail : toi, tu composes un chef-d’œuvre, moi, je t’aime. Il me semble que mon œuvre ne sera pas inférieure à la tienne. (Juliette)
Si mon nom vit, ton nom vivra. (Victor).

A l’heure des réécritures et d’adaptations pour le théâtre, de romans, de faits divers, réels et inventés, j’ai été charmée de découvrir une pièce captivante, jouée actuellement au théâtre Comédie-Bastille, Victor Hugo, mon amour. Cette adaptation passionnée et vivante d’Anthéa Sogno, s’appuie sur l’abondante correspondance échangée entre Victor Hugo et l’actrice Juliette Drouet, au cours des quelques cinquante années que dura leur union.

Écrite adroitement, la pièce attire notre attention non seulement par une exécution rigoureuse et rôdée des acteurs : d’Anthéa Sogno dans le rôle de Juliette et de Sacha Petronijevic, en alternance avec Christophe De Mareuil, dans le rôle de Victor Hugo, mais par la manière de traiter la chair même du récit, tel qu’il transparaît dans les lettres que s’adressaient les deux amants : il se déroule sur le fond romantique de l’époque et nous remémore en même temps la vie de Victor Hugo, son engagement politique et social, et la création de son œuvre littéraire.

Ce qui m’a plu en plus dans ce spectacle, c’est l’initiative de faire connaître et de faire partager d’une manière ardente et enjouée, le personnage d’une femme, Juliette Drouet, méconnue du large public, trop souvent mise en arrière-plan, et pourtant si présente et mêlée à la vie d’un homme dont l’œuvre a marqué durablement le temps.

Vouloir prêter vie sur scène à Juliette Drouet, partenaire de ce grand homme qu’est Victor Hugo, et nous la faire aimer, était une gageure de taille, tenue par Anthéa Sogno, et à son initiative. Le succès de la pièce doit à son enthousiasme et à son talent. Elle en est l’adaptatrice, et son interprète. La mise en scène est de Jacques Décombe.

Allant au-delà du seul spectacle, elle vient à la fin avec une fougue contenue et une grande sincérité intérieure, inviter les spectateurs présents à en prolonger l’élan – voire suggérer aux élus locaux de donner le nom de Juliette Drouet, qui à une rue, qui à une bibliothèque, qui à… On sent un souffle passer.


Compagnie Anthéa Sogno – 06 0367 2050.

Comédie-Bastille – 01 4807 5207
5, rue Nicolas Appert, 75011 Paris, Métro Richard Lenoir.
  
L'illustration rassemble Juliette Drouet en 1833, alors qu'elle est engagée pour jouer dans Lucrèce Borgia et Marie Tudor que Victor Hugo vient d'écrire ; Victor Hugo encore jeune écrivain - puis une quarantaine d'années plus tard.