mardi 15 novembre 2011

La Magie de la Bretagne


La présentation typographique de Seine & Vistule conduit à privilégier les titres brefs. La Magie de la Bretagne ne reflète que partiellement la diversité et la profondeur de l’exposé de Madame le Professeur Danuta Knysz-Tomaszewska, lors de la conférence consacrée à Gabriela Zapolska, donnée au Centre Scientifique Parisien de l’Académie Polonaise des Sciences, le 19 octobre 2011.

En effet, après une introduction biographique, on y trouve :
,,, Une description de l’exposition Gabriela Zapolska. Le talent en révolte qui s’est tenue à Varsovie d’avril à juillet 2011.
,,, Un développement sur cette magie de la Bretagne qui a servi d’inspiration et de support à Zapolska pour une grande aventure artistique. Le titre général de l’exposé se lisait d’ailleurs : La Magie de la Bretagne. La grande aventure artistique de Gabriela Zapolska (1857-1921) femme de lettres en révolte et critique d’art en admiration.

Avec l’accord de Madame Danuta Knysz-Tomaszewska, nous en présentons ici quelques aperçus. Le lecteur pourra en avoir bientôt une vue plus complète puisqu’il est envisagé que l’ensemble de la conférence - à savoir cet exposé ainsi que celui fait par la rédactrice du bloc-notes Seine & Vistule, et dont on a pu lire des extraits dans les billets précédents – sera publié dans les prochains mois par l’Académie Polonaise des Sciences.

L’illustration de ce billet se compose d’une vue du Calvaire de Tronoën (Mela Muter en a fait un pastel vers 1906), d’une autre de la Forêt de Huelgoat – région qui a enchanté et qu’a décrite Zapolska – et de trois tableaux : Solitude, de Paul Sérusier (1891 – au Musée des Beaux-Arts de Rennes), Jeune pêcheur de Doëlan de Władysław Ślewiński (189è – à la Galerie d’Art de Lvov), et Pêcheuse de Władysław Wankie (1893 – au Musée National de Varsovie).
Les reproductions de ces œuvres proviennent des sites Internet Wikipedia / Wikimedia qui considèrent qu’elles sont désormais dans le domaine public.

Venons-en dès maintenant au texte ou, plus précisément, à une sélection de phrases et de paragraphes qui incitent à aller plus loin.

Nous lisons ainsi dans l’introduction biographique :

[…] Elle avait l’esprit de combat et a défendu les exclus toute sa vie ; elle dénonçait l'hypocrisie et luttait contre la critique venimeuse et agressive qui détruisait ses romans et ses pièces de théâtre. Il est important de constater que Gabriela Zapolska s'est avérée aussi révoltée et insoumise dans sa vie que dans son œuvre.

Il me semble que nous sommes confrontés à une personnalité encore difficile à saisir, très riche, très dynamique et très complexe. […] Il arrive souvent que dans son œuvre des brins d’or se mêlent à des banalités. […] Zapolska elle-même nous en donne des explications […] :

Je suis le courant - je ne veux pas avoir de manière à moi - je ne suis que le miroir. Je n'écris pas d'épopées historiques, mais une épopée des instants que je vois.

A l’issue de la conférence, on a pu entendre – paroles de conservateurs œuvrant dans de grandes bibliothèques ou de grands musées à Paris : J'ai eu l'impression d'avoir visité réellement l'exposition de Varsovie. Voici ce que l’on trouve en effet dans la partie qui lui est consacrée :

En passant d’une salle à l’autre, le spectateur était plongé dans l’univers de la Belle Époque […] Le public était invité à l’accompagner dans le Paris des années 1890 dont l’atmosphère était rendue par des toiles, des estampes et des affiches d’artistes tels que Pankiewicz, Podkowiński, Toulouse-Lautrec et Sérusier. Puis les [visiteurs] voyageaient avec l'actrice en Bretagne qu'ils pouvaient découvrir à travers les magnifiques tableaux de Paul Sérusier, ce peintre nabi qui était devenu le fiancé de Gabriela. Je crois que c’était la première fois que je voyais réunies dans une salle tant d'œuvres de cet artiste, célèbre élève de Gauguin. L'ambiance magique de la Bretagne émanait également des toiles de Władysław Ślewiński qui fut le premier peintre polonais à être séduit par cette région. […] Ainsi Zapolska qui a passé ses vacances à Roscoff et à Huelgoat en 1893, puis en 1894 à Chateauneuf-du-Faou, est venue presque à la même époque que Ślewiński, Gauguin, Bernard, Sérusier et tant d'autres peintres postimpressionnistes.

Pour tous ces artistes, la Bretagne est devenue source d'expérience existentielle et artistique. […] Il n'est pas étonnant que son expérience vécue en Bretagne ait eu pour Zapolska un caractère initiatique dans plusieurs domaines. La rencontre de Paul Sérusier a décidé de l'évolution des ses opinions sur la peinture moderne. […] Il lui a fait découvrir la beauté du paysage et les mystères de la vie des Bretons. Grâce à cette expérience, l'actrice polonaise s'est laissé attirer vers la peinture symboliste née dans ce pays où tout devenait symbolique et rituel. La présentation des nombreuses toiles de Paul Sérusier dans l'exposition consacrée à Zapolska souligne le rôle primordial qu'il a joué dans le dernier chapitre de sa vie parisienne. […]

L’exposition de Varsovie attirait également l'attention des spectateurs sur [sa] carrière théâtrale. […] Gabriela Zapolska femme de lettres pouvait également séduire les visiteurs par les premières éditions de ses romans et de ses pièces de théâtre présentées dans l’exposition ainsi que par les citations de ses lettres et de ses articles publiés dans la presse. […] Le titre de l’exposition Le talent en révolte saisit bien la ligne de vie de cette artiste indomptable, toujours prête à défendre ses opinions avec les griffes et le bec, comme elle aimait à le dire. Les portraits des beaux hommes qui l’ont accompagnée dans sa vie nous évoquent sa recherche désespérée d’un bonheur toujours insaisissable […] Individualiste, impulsive et impatiente, elle cherchait un accomplissement dans son travail de comédienne, dans l'écriture et dans l'amour – toujours prête au combat. […]

En rendant souvent parole à Gabriela elle-même, l'exposition […] a parfaitement réalisé l'objectif des organisateurs qui voulaient nous rapprocher de ce personnage hors du commun qui, exclu de sa caste sociale, menait son existence à sa guise, en toute liberté, grâce à un talent extraordinaire et à une ambition non moins extraordinaire. Au tournant moderniste, à une époque où plusieurs modes artistiques et tendances idéologiques se confrontent, Zapolska arrive à créer son propre théâtre qui critique et diagnostique, bouillonne de passions satiriques, ridiculise impitoyablement des soi-disant vertus morales bourgeoises.

[…] Nous avons encore beaucoup à découvrir et beaucoup à repenser pour comprendre cette artiste aux multiples facettes qui a travaillé toute sa vie avec acharnement. Il faudrait essayer de pénétrer la vie mouvementée de cette femme de lettres et comédienne qui cherchait avec une volonté de fer l'accomplissement artistique et émotionnel en transgressant les normes, en provoquant les bonnes gens par sa franchise et par le regard impitoyable qu’elle portait sur tous ceux qui préféraient le camouflage et le mensonge.

La visite de l’exposition de Varsovie nous y avait préparés : la majeure partie de l’exposé semble nous aspirer dans un autre monde : La magie de la Bretagne. Une grande aventure artistique.

Ses descriptions dynamiques et vivantes de ce coin de la France qui a attiré tant de peintres révèlent en elle un reporter capable de comprendre le monde exotique et fermé du peuple breton. Elle a su saisir ses traits caractéristiques et sentir la poésie des côtes sauvages tourmentées par les hautes vagues. Étrangère, elle s’est montrée sensible aux preuves de la foi catholique fervente des Bretons d'ailleurs fortement teintée de traditions païennes, ce dont elle était parfaitement consciente. Gabriela Zapolska appréciait l'art inné de ce peuple dont les artisans produisaient des objets d'une rare beauté. Elle découvrait leurs goûts raffinés dans les vêtements brodés d’or et dans la belle céramique de Quimper exposée sur des meubles en bois travaillés avec un grand raffinement.

[…] Elle a merveilleusement saisi la beauté des sculptures primitives des calvaires élevés près des églises, dans des enclos paroissiaux. Ces calvaires qui datent de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle sont aujourd'hui reconnus par les historiens d'art comme les trésors de la Bretagne. Peuplés de personnages innombrables, ils rappellent au croyant la mort et la résurrection du Christ et les épisodes de la vie de Marie. Zapolska offre au public polonais ignorant une description détaillée et suggestive d'un calvaire breton qui prouve une grande sensibilité de l'auteur:

De par toute la Bretagne, on trouve une multitude de ce que l'on appelle des "calvaires", avec leur croix énorme faite d'une seule pièce de granit. Ils sont très anciens et sculptés de manière rudimentaire et naïve. Malgré cela ils sont particulièrement beaux et témoignent d'une inspiration authentique. Alors que Madeleine, Jean ou la Mère de Dieu sont représentés d'une manière quasi caricaturale, leur expression peut prendre une dimension tragique.

Selon les cas, un dragon ou bien un monstre à tête humaine et à corps de lézard se tient aplati au pied de la croix. En revanche le Christ est toujours soutenu par des anges. (...) L'Essénien de Nazareth étend ses bras amaigris, comme s'il voulait attirer à lui ce charmant coin de France que parcours la rose ondulation des bruyères et où les gens entourent la mort d'un respect puissant et étrange à la fois.

[…] Elle a créé de véritables tableaux littéraires qui exaltent la beauté des paysages du pays. La lumière, l'heure, la saison, tout y est respecté, observé et noté.

Huelgoat... un paradis tapissé de roses, de clochettes couleur lilas, de bruyères roses, de fougères aux tons mordorés comme brulées par une braise que le ciel saphir aurait déversé.

C'est bientôt l'automne (...). On aperçoit le noir de grappes de mûres parmi les ronces. Des pins poussent au milieu de fleurs multicolores. Sur le fond de prairies vert clair des peupliers sombres - on dirait du velours - dressent leurs torses vers le ciel. Et, de-ci de-là, des silhouettes de chevaux aux jambes entravées apportent quelques tâches blanches.

Barbara Brus-Malinowska a très justement comparé certaines descriptions de Huelgoat et de Roscoff esquissées par Zapolska avec les toiles de peintres nabis et de peintres polonais venus en Bretagne dans des années 1890, comme Władysław Wankie ou après 1901 comme Mela Muter.

[…] L'influence que Paul Sérusier a exercée sur l'actrice était très enrichissante. […] C'est grâce à lui que les descriptions de Zapolska sont imprégnées d’un symbolisme latent, imposé par le sentiment de l'infini que provoque la mer immense et stimule la puissance de la nature.

[…] C'est grâce à Paul Sérusier qu'elle a pu rapidement reconnaître l'art de Gauguin, de Rançon, Vuillard et Van Gogh dont elle a parlé en 1894 dans un article De nouveaux courants dans l'art avec sensibilité et compétence, enthousiasmée par les valeurs spirituelles de leurs toiles. Et comme Gauguin en 1889 et Sérusier en 1893, elle était fascinée par le côté poétique des silhouettes silencieuses des paysans bretons, surtout des fillettes au regard absent qu'ils aimaient peindre et que Zapolska, elle, aimait évoquer dans ses textes. Sans doute aurait-elle pu répéter cette phrase de Gauguin :

Je cherche à mettre dans ces figures désolées le sauvage que j'y vois et que j'ai en moi. Ici, en Bretagne les paysans ont l'air du Moyen-âge et n'ont pas l'air de penser un instant que Paris existe et qu'on soit en 1889.

[…] C’est Paul Sérusier qui l'a guidée. Il n'est pas étonnant qu'elle lui ait réservé une place spéciale dans une lettre de Huelgoat décrivant sa contemplation du paysage breton:

[…] Il est de ceux qui croient en ce qu'ils font. L'état de son âme se traduit dans ses tableaux sous une forme symbolique dont l'expression nous enchante et nous en dit bien d'avantage qu’une multitude de commentaires ou que la tentative d'en faire une description littéraire. Sérusier est un Primitif, un Harmoniste - en apportant un complément à l'énergie qui émane de Puvis de Chavannes, il compose des chefs-d’œuvre de ses tableaux bretons, si simples, si tristes et beaux, à l'image de l’âme de leur créateur.