lundi 1 août 2011

Un Français qui a aimé la Pologne


Paul CAZIN (1881-1963)

Le précédent billet de mon bloc-notes rappelle que la pièce la plus connue de Gabriela Zapolska, Moralność pani Dulskiej, avait été traduite en français dès 1933 par Paul Cazin. Qui était Paul Cazin ?

Nous l’avions, mon co-traducteur Arturo Nevill et moi, croisé sur notre chemin à quelques reprises : ce dernier avait ainsi, dans sa bibliothèque familiale, un ouvrage devenu désormais rare (un biały kruk, dira-t-on en polonais) : la traduction par Paul Cazin du célèbre Pan Tadeusz (Messire Thadée) d’Adam Mickiewicz, parue chez Félix Alcan en 1934 – un récit en prose, réussissant à faire passer en français avec beaucoup de justesse, et certainement plus de saveur que bien des traductions versifiées, les 9 823 alexandrins de 13 pieds de l’épopée écrite exactement un siècle plus tôt par le grand romantique polonais. La raison en est, avoue Paul Cazin dans son avant-propos, que je ne me connais qu’en prose. Pour pointer, un peu plus loin à propos d’une traduction antérieure qui faisait pourtant référence, que dès le premier [alexandrin], nous voyons que la sobriété, dont on fait honneur à la versification, est une concision de guillotine : l’évocation de la Lituanie, cette petite patrie à laquelle le poète tenait tant, avait purement et simplement été supprimée...

Venons-en à la Morale de Madame Dulska. Dans son introduction à la traduction de Paul Cazin qu’elle a fait récemment paraître aux éditions de l’Université de Varsovie, Madame le Professeur Danuta Knysz-Tomaszewska souligne que, en 1908, presque sitôt après l’avoir écrite et fait jouer à Lvov, Gabriela Zapolska lui a proposé qu’il traduise cette pièce. Sous le titre L’Oraison dominicale, il venait de traduire sa Modlitwa pańska. Zapolska lui proposera aussi sa pièce Tamten (L’Autre), en vue de la soumettre à son ancien directeur du Théâtre Libre, Antoine. Il se consacrera à Moralność un quart de siècle plus tard. C’est grâce à l’entregent du traducteur et poète Krzysztof Jeżewski que nous avons pu tenir entre nos mains une copie d’une version manuscrite de cette traduction, et que nous avons pu la mettre dans une forme acceptable – celle qui a servi pour l’ouvrage qui vient d’être mentionné.

Si nous sommes venus à Paul Cazin par Mickiewicz et surtout par Zapolska, l’intérêt qu’y porte Madame Danuta Knysz-Tomaszewska résulte d’un travail en profondeur, entrepris dès le début des années 1990, faisant appel à des archives privées, et portant notamment sur ses manuscrits, sur son journal intime et ses lettres. Avant même la traduction de Moralność, cela avait déjà conduit à la parution de deux ouvrages en polonais, toujours aux éditions de la Faculté d’Études Polonaises de l’Université de Varsovie : le premier, en 1999, dont le titre en français pourrait être Les bons et mauvais jours d’un polonisant français ; le second, en 2009, Sur les sentiers de mémoire. Fin avril, il y a trois mois, elle a donné une conférence à la Bibliothèque Polonaise de Paris, sur cet Ambassadeur de la culture polonaise en France, Paul Cazin pouvant être considéré comme le premier Français qui se soit intéressé à la littérature polonaise qui lui était contemporaine.

Les premiers contacts de Paul Cazin avec la Pologne se font entre 1904 et 1906 : il y travaille comme précepteur auprès des fils du comte Edward Raczyński. La famille de ce dernier dispose d’une bibliothèque particulièrement riche. Il visite Cracovie, Lvov, Varsovie et, avec ferveur, apprend la langue polonaise.

Dès 1909, Paul Cazin se lie avec le Comité Franco-Polonais à Paris. Il se met à traduire plusieurs auteurs polonais en français – à commencer par Modlitwa pańska de Zapolska. Citons notamment, Z ziemi Chełmskiej (Notes de voyage au pays de Chelm) de Władysław Reymont, Uroda życia (Le Charme de la vie, sous le titre français : L’Ombre) de Stefan Żeromski, Les Mémoires de Jean-Chrysostome Pasek – qui lui prend plusieurs années et sera couronné par l’Académie française, Józef Weyssenhoff, Jan Parandowski, Wacław Berent, Tadeusz Breza… et se lie d’amitié avec certains d’eux. Il publie des articles consacrés à la littérature polonaise, dont Le Roman polonais au XIXe siècle (1915).

En 1923, il est invité à Genève, où il prononce une conférence au sujet de la littérature polonaise. Les années 1920 sont également consacrées à sa production personnelle – une demi-douzaine d’œuvres publiées chez Plon. En 1928 Józef Weyssenhoff publie O sztuce pisarskiej Pawła Cazina (A propos du travail littéraire de Paul Cazin) et y joint quatre nouvelles de celui-ci. Cette même année, Paul Cazin, qui continue à maintenir les contacts avec la vie artistique des Polonais à Paris, assiste à la cérémonie d’inauguration de la sculpture d’Adam Mickiewicz par Émile Bourdelle sur la place d’Alma. En 1928, toujours, il se rend en Pologne, passe par la propriété du comte Raczyński dont il a été le précepteur, et se rend à Poznań, Varsovie, Cracovie, ainsi qu’à Zakopane dans les Tatras.

Les années 1930 sont une période assez intense de publication de ses traductions. C’est alors que, outre Pan Tadeusz déjà cité, paraissent Le Stigmate de Cyprian Norwid (Gallimard), Le Gouffre noir de Henryk Sienkiewicz (Nathan), Les Demoiselles de Wilko de Jarosław Iwaszkiewicz (Sagittaire) En 1935 il donne des cours de la littérature et culture polonaises au Centre d’Etudes Polonaises installé près de la Bibliothèque Polonaise à Paris.

Les bons jours et les moins bons jours… Les années de l’après-guerre seront moins évidentes à vivre pour ce septuagénaire, tiraillé qu’il puisse paraître entre son amour pour la Pologne et la manière de l’exprimer sous un régime qui a bien changé. Bien que très attaché à la Bourgogne et plus particulièrement à Autun où il a vécu une cinquantaine d’années, il vit à Aix-en-Provence où il avait une chaire de polonais aux cours publics à la Faculté de Lettres. Renversé par une voiture, il meurt peu de temps après en 1963, il a 82 ans. Il sera inhumé à Paray-le-Monial.

La photo qui illustre ce billet a été trouvée sur le site ;
Elle a été prise le 21 juin 1928 dans la propriété de Ludwig-Hieronim Morstin qui accueillait une Rencontre de poètes polonais – et pas des moindres (Zjazd poetów polskich w Pławowicach). Beaucoup de jeunes au premier plan – les poètes confirmés sont debout au dernier rang. De gauche à droite, se détachant sur le fond sombre de la porte d’entrée : Emil Zegadłowicz, Julian Tuwim, Leopold Staff et… Paul Cazin. En continuant vers la droite, leur hôte et, un peu plus loin, Józef Wittlin. Revenons vers la gauche, le deux têtes qui se détachent au-dessus des autres sont celles de Jan Lechoń puis de Jarosław Iwaszkiewicz.

Aucun commentaire: