samedi 26 mars 2011

Promenades parisiennes (6-F)


Cet article est le dernier d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

L’appartement du 4 de la rue Tourlaque
J’aime beaucoup mon appartement de la rue Tourlaque : mon salon est ravissant, rouge foncé, un grand bureau sculpté, une chaise longue chinoise, brodée, la bibliothèque, des chaises turques, des fauteuils en marbre de Tonkin, les nombreux petits tapis orientaux. Dans le salon il y a une grande fenêtre double colorée, sertie du plomb. Ma chambre à coucher est en style anglais. Sur les murs, un papier vert clair avec un motif de roses près du plafond. Au-dessus du lit, des rideaux blancs, en mousseline. Aux fenêtres, de grands rideaux blancs, une chaise-longue en rotin, un fauteuil et des tablettes. La salle à manger est tapissée d’une laine jaune d’or – le plafond aussi. Le buffet et l’armoire sont bretons ; le tapis couleur saphir ; et les tabourets sculptés ; la toilette rouge avec des éventails. J’ai envie d’y installer une baignoire, car j’ai le gaz au cabinet. L’appartement est propre, clair et agréable.

Je vis dans la plupart de temps avec des Français : des peintres, des sculpteurs, des journalistes, des écrivains… Ah ! Quelles soirées agréables ! Quelles soirées ! Les gens qui viennent chez moi, discutent entre eux, boivent du thé, du cognac. Le feu brûle dans la cheminée, on discute de tout, l’esprit se forme, se développe… aucun ragot, aucune méchanceté ni colère, aucune prise de bec à propos de l’art. Ce qui me change de ce que je connaissais autrefois.

Nostalgie
Moi, allongée sur une chaise longue, je leur réponds et doucement, tout doucement, ma pensée s’envole, s’enfuit pour revenir… vers mon pays. Et, là-bas, elle vagabonde, captive des larmes que j’y ai répandues et n’arrivant jamais à dénicher dans mon passé un tant soit peu de clarté. Ce qui ne l’empêche pas de revenir sans cesse là-bas et d’y errer comme un chien parmi les décombres ou comme un enfant dans un cimetière.

Pour chercher qui ? Des larmes ! C’est tout ce qu’il y a… Ici je ne pleure pas. En revanche, j’ai sur le cœur une sorte de carapace sous laquelle il y a une blessure très douloureuse. Et savez-vous, que dans les moments pourtant les plus heureux en apparence, il y a toujours quelque chose qui me fait mal au fond de l’âme, au point que toute ma joie s’anéantit. Comment une telle blessure n’arrive-t-elle jamais à se refermer ? Tiens, les larmes me viennent soudainement aux yeux ! Mes premières larmes à Paris, presque. De plus en plus je pense d’aller à Varsovie, rien que pour un bref séjour. Mon futur mari, Paul Sérusier est d’accord. Je vais y chercher quelques documents pour mon futur roman.

De la neige à Paris
Oh ! La neige ! C’est ma première neige à Paris. Je suis couchée et, de ma fenêtre, je vois le toit tout blanc, une ligne blanche qui recouvre les branches des arbres, une couche blanche sur le rebord du balcon. Et, dans l’air, des flocons blancs qui voltigent… qui voltigent…

En se penchant pour mieux voir, Hortense, ma bonne, s’est écriée : Oh : Quelle neige ! Elle ne comprend rien ! Ah ! Ces Français ! Moi, ça me fait revivre ! Je vais mettre des bottines et, à petits pas, je vais aller au musée de l’Opéra. La neige va se poser sur le bout de mon nez. La neige continue de tomber et tout devient plus blanc. Je m’imagine que je suis à nouveau dans mon pays. Je préfère cette illusion à la réalité.

La neige ! La neige ! Des bandes de voyous, en chemises de mariniers et portant des pantalons déchirés, courent le long des boulevards en poussant des cris, à qui hurlera le plus fort. Les milliards de flocons de neige les poursuivent en nuées qui s’éparpillent et virevoltent, s’accrochant à leurs casquettes trouées.

Des commis s’élancent, qui répandent du sel et des copeaux de bois en abondance sur les trottoirs. Des hauteurs de Paris, descendent lentement les chevaux qui tirent les tramways et les omnibus. Ils s’alignent en rang devant des stations d’arrêt. Ils demeurent ainsi, calmes, la tête penchée, indifférents et apathiques, face au danger qui les menace. Il y en a qui ne sont pas ferrés : ils glissent, tombent et des jambes se cassent… Ce qui provoque un attroupement de curieux qui, en donnant des coups de poing, cherchent à se frayer un chemin parmi la foule. De nouveau, une rangée de chevaux descend des hauteurs des rues de Maubeuge, Clichy, Rochechouart, et Fontaine.

Venant de l’avenue de Bois de Boulogne, des voitures de cocottes arrivent les unes après les autres. On les remarque par leur attelage correct, au profil sombre des laquais assis sur leurs bancs. Elles sont noyées parmi des amas de fourrures et s’appuient, affalées, sur les coussins qui tapissent l’intérieur des voitures. Les carrosses poursuivent leur chemin pour s’arrêter devant le Café Riche, Bignona, la Maison Dorée, le Café Américain, leurs vestibules et leurs tapis. Sitôt la portière ouverte, les femmes s’élancent au milieu d’un bruissement de dessous de soie, happées par un faisceau lumineux, tels des papillons de nuit, pour s’y plonger avec plaisir et volupté.

Fin du séjour parisien
Je joue d’autres rôles, au Théâtre Libre d’Antoine et au Théâtre de l’Œuvre de Lugné-Poe. J’écris toujours, et même pour La Revue Blanche, en français… Avant mon voyage à Varsovie, j’ai encore à préparer le rôle de la Femme aux Rats, dans le Petit Eyolf d’Ibsen que je vais jouer au Théâtre de L’Œuvre. Je compte revenir bientôt à Paris – car Sérusier m’attend.

Pendant ces six années à Paris, j’ai beaucoup appris : à sentir, à penser, à regarder le monde et l’art, l’évolution sociale, et à trouver le sens de l’existence. Qui étais-je avant ? Une machine sans intelligence, poussée au gré des vents et de mes éditeurs… En un mot, je suis devenue un être humain.

vendredi 25 mars 2011

Promenades parisiennes (5-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).


Congrès international des Femmes – 1892
Hier, je suis allée sur l’autre rive de la Seine où, en face de l’Église Saint Sulpice, dans la salle de la Mairie, se déroule un Congrès international des Femmes. En tant que journaliste, j’ai été placée dans une tribune, entourée d’hommes – des journalistes : et j’observe ce qui s’y passe.

Je ne connais, hélas, que trop bien, la condition dans laquelle se trouvent des femmes à notre époque. Les héroïnes de mes romans, de mes pièces du théâtre et de mes nouvelles expriment leur douleur et leur désarroi devant tant d’injustices qui leur sont faites.

Le Congrès se déroule dans une salle longue et étroite où les portes largement ouvertes laissent passer un rayon de soleil. Sur la petite table j’aperçois un bouquet du muguet et de roses. Derrière l’estrade sont assises les deux initiatrices du Congrès : Madame Maria Szeliga-Loevy – la Secrétaire de l’Union universelle des Femmes et Madame Potonnié-Pierre – cette dernière a structuré la Fédération Française qui rassemble en son sein tous les groupes et toutes les associations féminines – ce qui couvre de nombreux domaines.

Parmi les autres participantes : Marie Deraismes, qui préside, une clochette à la main ; Clémence Royer, traductrice de Darwin ; Marie Popelin qui est docteur en droit ; Madame Blanche Edwards, docteur en médecine ; Madame Morsier, qui lutte contre la prostitution ; Mademoiselle Stefania Feindkind de Varsovie, étudiante en médecine, la meilleure élève de Charcot ; Madame Léon Becquet, la fondatrice d’un refuge pour femmes enceintes qui se trouve avenue du Maine ; ainsi que Madame Valette qui est journaliste et militante.. Il y a aussi des Finlandaises, des Anglaises, des Allemandes, des Roumaines, des Françaises, des Italiennes… Je remarque qu’il y a bon nombre d’hommes.

La salle est comble. A un moment des débats, le bruit commence à s’amplifier. Un cri retentit. C’est de la recherche en paternité qu’il s’agit – question soulevée à la tribune et qui provoque un ouragan de protestation de la part de quelques hommes. Ils prennent passionnément part à ce débat en envahissant l’estrade, en justifiant leurs comportements de Don Juan qui ne sont pas sanctionnés, et leurs passades, d’un seul jour parfois, dont il ne leur reste… qu’un souvenir – chose d’une poésie ineffable – alors qu’aux femmes il ne reste souvent que les larmes, le désespoir, la maladie, la misère et… l’enfant.

La bagarre en est arrivée au point où Renée Marcil s’est ruée sur un type qui était parvenu à se hisser sur l’estrade et qui invectivait l’assistance, en traitant tout le monde de lâches. On a réussi à rattraper Renée Marcil et à la retenir. Elle s’est mise à pousser des cris de putois, à hurler, et à distribuer des coups de poings à droite et à gauche. Même Szeliga en a reçu un dans la mâchoire. Le dénommé du Bellay, celui qui avait provoqué la colère de Marcil, s’est saisi du parapluie de Rojecka et attendait sur la défensive. C’était à mourir de rire !

C’est Mlle Popelin qui présidait à ce moment-là (elle est avocate – doux Jésus, je ne lui aurais jamais confié la moindre d’affaire), mais personne ne l’écoutait. Quelle histoire ! Les femmes se querellaient entre-elles, poussaient de cris aigus, s’invectivaient. Les hommes se moquaient d’elles et, les uns après les autres, grimpaient sur l’estrade pour y semer la pagaille. J’étais au septième ciel ! Dans la salle où se tenait dans les 3 000 personnes, ça criait, ça rigolait, ça hurlait…

Ce Congrès n’a pas été un risible rassemblement de femmes en guerre contre les hommes. Oh ! Que non ! C’était une réaction et une révolte contre l’oppression qui frappe l’humanité tout entière. Prostitution et Recherche en Paternité – tels ont été les deux temps forts de ce Congrès. On y a, par ailleurs, protesté contre les guerres, on s’est aussi occupé d’analyser le problème de l’inégalité des salaires que les femmes reçoivent pour leur travail, par comparaison avec celui des hommes, on a voté pour que plus de crèches soient ouvertes, afin de faciliter l’éducation des enfants par leur mère et, en autre, pour éviter des infanticides et des abandons. Ce Congrès avait pour objectif d’améliorer le sort des femmes. Il va de soi que l’on n’y est pas totalement arrivé. Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l’évolution de l’humanité dans son ensemble !

Zapolska et les peintres de l’époque
J’habite maintenant près du cimetière de Montmartre. De la Place Clichy, allant à gauche du boulevard, il y a la grande rue Caulaincourt, à côté, plus petite, la rue Tourlaque. C’est là où j’habite, au numéro 4, au 3ème étage. J’ai un bel appartement pour lequel je paye 700 francs. Tout près, au numéro 7, Toulouse-Lautrec a son atelier.

Antoine, mon directeur du Théâtre Libre, m’a proposé une excursion en Bretagne, avec lui et avec sa dame. C’est là où j’ai passé mes vacances, j’y ai rencontré Paul Sérusier et un groupe de Symbolistes. Ces peintres portent des sabots et des habits de paysans, fument la pipe et discutent sans cesse de tons et de couleurs. Ils se sont eux-mêmes appelés Nabis. Aux Salons de Peinture, au Champ de Mars ou aux Champs-Élysées, leurs tableaux me faisaient rire, alors que mon ami Stefan les regardait avec sérieux. J’ai sympathisé avec ces peintres et j’ai assisté à des scènes de leur vie et à leur manière de concevoir leurs tableaux.
 
Paul Sérusier
La présence de Paul Sérusier dans ma vie a été une expérience formidable. Il m’a appris à regarder autrement la peinture… et ne plus avoir peur de la mort. J’ai écouté ses théories le jour et la nuit. Nous pensons parfois à nous marier. J’aime la peinture. Moi-même, à l’époque, je me suis acheté une boite de couleurs et j’ai peint quelques croûtes – on dirait des paysages – tout bleus car la mer est bleue, bien que verte par endroit. Plus je contemple cette étendue d’eau, plus je suis convaincue qu’aucun peintre n’arrivera à bien la rendre sans utiliser les couleurs or et argent. Sérusier me parle souvent de la peinture. Nous jouons même ensemble au Théâtre Symboliste de Lugné Poe.

Paul Gauguin
Maintenant, je connais leur histoire : au début, les Symbolistes étaient une petite poignée. Au cours de l’Exposition Universelle, ils ont organisé une petite exposition dans un modeste café : c’est de cette manière qu’ils ont attiré l’attention du public. Le nom de Symbolistes leur a été donné par un groupe de poètes qui portaient déjà ce nom et qui ont trouvé que ce genre de peinture dénotait une filiation commune à ce qu’il y avait dans leurs œuvres. Gauguin, leur chef de file, a consenti à cette dénomination : celle-ci s’est imposée depuis.

Gauguin a commencé comme Impressionniste mais il est parvenu à quelque chose de plus parfait : il manquait un style à l’art contemporain. Mais ne voulant pas imposer à tous un seul style, il a souhaité que chaque artiste fasse sortir de son âme le style qu’il avait en lui.

Vincent Van Gogh
Quant à Van Gogh, c’était un artiste doté d’une fantaisie folle et d’un tempérament, un coloriste dont la richesse des couleurs éblouit. Éprouvé de son vivant dans son corps par la maladie et par le dénuement, il possédait un esprit puissant, qui rassemblait en lui-même presque toutes les écoles de peinture. Laissant la bride à son tempérament ardent et flamboyant, il a regardé la nature à travers ce prisme. Il s’est élancé vers la lumière, vers des lueurs aveuglantes et, tout à coup, il s’est enfoncé dans l’obscurité… il est devenu fou ! Qu’est-ce que la folie – Qu’en savons-nous ? Le génie et la folie ne sont-ils pas du même lit ? Sur leurs ailes, les génies portent le monde vers la lumière et aucune camisole n’en a entravé les ailes ! Les ailes de Van Gogh nous ont livré plusieurs dizaines de toiles où il ne s’agit pas d’une «imitation parfaite» de la nature mais où nous devinons, en les regardant, comment lui, Van Gogh, voyait la nature.

Une toile de Van Gogh, j’en ai une qui est accrochée dans mon atelier – un joyau qui, dans quelques dizaines années, n’aura pas de prix. Mon appartement se transforme peu à peu en un musée. J’ai aussi des toiles de Gauguin, Maurice Denis, Vuillard, Anquetin, des sculptures en bas-relief. Il me manque des murs pour les accrocher et six toiles sont dans mon cabinet de toilette, en attendant des jours meilleurs, quand j’aurai un appartement plus grand. J’ai un grand tableau que m’a donné Antoine – entièrement peint avec des points – cela va faire sensation à Varsovie lorsque je m’y rendrai. J’aimerais maintenant avoir l’un des tableaux de ces Symbolistes, peint en trois couleurs seulement et qui représente de petits monstres.

 

Promenades parisiennes (4-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Simone : un succès pour Zapolska

Stéphane, mon ami !

Ca y est ! Je vais à la générale de Simone ! Je prends ta photo et je la mettrai sous mon corset. Protège-moi devant le public parisien ! J’ai peur ! Je vais prendre un calmant… je t’écrirai davantage après le spectacle. Donc – dans quatre heures !
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Je reviens du théâtre ! Je suis si fortement impressionnée, qu’il me manque des mots… J’ai eu un triomphe inattendu ! Au fur et à mesure que l’action avançait, je sentais que le public m’était très favorable. Ils applaudissaient souvent après mes répliques. Ici, il n’y a pas de claque ! Après la scène du deuxième acte, les bravos ont été si longs que les comédiens s’étonnaient. Tous : l’auteur, le directeur, tous… m’ont embrassé, félicité. Séverine est venue dans ma loge ! En un mot – c’est quelque chose de fantastique ! On parlait de moi dans des couloirs du théâtre !

J’ai une fièvre à cause d’un tel succès ! Antoine me propose de jouer Nora d’Ibsen ! Mon rôle fétiche ! J’ai conquis tout Paris ! Pour cette pièce, l’élite de Paris s’est déplacée ! Il y aura des critiques dans des journaux ! S’il n’y avait pas eu tous ces bouquets de fleurs dans ma loge – j’aurais pu croire que c’était un rêve ! Maintenant je dois travailler davantage encore ! Après le succès, mon émotion est retombée. Et je ne ressentais plus ma joie. J’étais devenue tout simplement indifférente. Antoine a dit : Laissez-la, elle a la joie triste. Il me semble que ce n’est pas moi qui a joué.

Antoine m’a donné un rôle dans Les Mirages de Lecomte. Je prononce maintenant mieux le fameux rrr à la française. Il me faut encore améliorer ce e muet – ce qui est très difficile.


Les bayadères de la rue du Caire… et la charmante Valti
Ces jours-ci, je suis retournée à l’Exposition Universelle et, toute la journée, j’ai visité les pavillons. A la tombée de la nuit, on recouvre les vitrines d’une toile blanche. De tous les pavillons sortent alors des foules de gens : ils se massent autour de la Tour Eiffel qui révèle peu à peu ses formes au fur et à mesure que les lumières s’allument le long de ses flancs. Toutes les têtes se lèvent et des cris s’élèvent vers le ciel : Magnifique ! Sublime !

Une lumière violette s’allume soudain. On entend le bruit des jets d’eau, on voit comme des milliers d’étincelles… ce sont des fontaines multicolores qui, comme des gerbes de bijoux, font s’épanouir des milliers de gouttelettes qui se désagrègent dans l’air. Dans le lointain, on voit des statues que l’électricité inonde de blancheur.

Une mélodie de czardas nous parvient. Sur une voiture passe une danseuse, une bayadère de la rue du Caire, toute enveloppée d’un vêtement noir.

Je n’avais jamais vu les vraies bayadères de la rue du Caire avant d’avoir assisté au spectacle de Mademoiselle Valti à la Scala. Sur une scène, baignée par la lumière et des éclats de lueurs électriques, une jeune femme balance des hanches. Elle chante, la charmante Valti en faisant tourner sa petite tête encadrée de cheveux roux. Elle sourit, elle est gracieuse, le satin et le strass brillent. D’un soprano pur, elle chante :
Je suis la bayadère de la rue du Caire

Elle frétille si joliment de son petit bedon que le public qui remplit la salle de la Scala applaudit frénétiquement sa danse du ventre. Elle a le plaisant minois d’un titi parisien ; elle est coiffée d’un chapeau de crêpe, couleur or et rose ; sa silhouette de danseuse, on la dirait dessinée par Grévin. Le chef d’orchestre qui l’accompagne discrètement d’une mélodie harmonieuse est obligé de reprendre pour la 3ème fois le dernier couplet. La jolie fille cligne de l’œil gauche, se balance de nouveau sous les lumières en jetant des étincelles de diamants… et recommence à chanter.
Abdi-abdah,
Fiou fiou, piou, piou,
Dansons, dansons,
La danse du ventre.

Le public acclame avec des cris d’enthousiasme la danse de sa chanteuse préférée. Si on applaudit la Valti à tout rompre, à chaque refrain, alors qu’elle se balance sous les lumières qui accrochent des reflets dorés sur ses cheveux en cascade ou qui font scintiller des étincelles dans les plumes de son chapeau… Quelle va être notre réaction lorsque nous serons en présence des vraies danseuses, des almées ! Quelle sera la réaction du public à la vue de ces charmantes et mystérieuses créatures d’Orient, qui dansent au milieu de fumées d’encens, elles-mêmes imprégnées d’un parfum d’essence de rose !

Ce n’est qu’ensuite que j’ai couru voir les bayadères de la rue du Caire, au Champ de Mars. J’ai vu leur vraie danse du ventre sous la tente égyptienne des almées – telles que Fatima, Aïoucha, Hanem, Farida, Adila, Gouma et Selika, mais dans la soirée je suis retournée de nouveau à la Scala pour revoir la danse du ventre de la Mademoiselle Valti.

J’ai adoré sa danse stylisée, étincelante de paillettes sous les lumières électriques. Il est probable qu’il n’y ait que satin, plumes, artifice et grâce féminine pour captiver et soulever les foules… Je n’en suis pas sûre… Mais ce que je sais, moi tout comme le public, c’est que j’ai applaudi la Valti et que j’ai crié : Dansez, dansez-la, la danse du ventre – en souhaitant que cette ravissante apparition ne disparaisse pas trop vite de la scène.

Clôture de l’Exposition : un repas interminable…
Je suis allée avec mes voisins – Mme Nini, son mari et moi – à la clôture de l’Exposition Universelle. Après le déjeuner, où nous avons englouti une masse de Roquefort, du Brie, des Petit Gervais, des poires, des raisins, des noix, des petits-fours, des pommes vanillées, des confitures… après avoir bu quelques tasses d'un café noir arrosé copieusement de ma fine, Madame Nini a enfin décidé : Il est temps de partir.

J’ai soufflé. Le temps passait, et nous étions toujours devant cette table à manger et à manger sans cesse. Selon le programme, nous devions passer à l’Exposition une journée entière. J’étais sûre qu’à une heure de l’après-midi au plus tard nous nous apprêterions à partir pour le Trocadéro ou le Champ de Mars. Illusion ! J’avais oublié que les Français aiment bien manger et longtemps. Le crépuscule était tombé lorsque nous nous sommes levés de table.

Il était temps de partir. Mais Monsieur était d’un autre avis. En engloutissant encore une tasse de café, puis une livre de raisins, il s’est mis à faire des provisions pour cette excursion. Donc, une bouteille plate de Cognac, 4 poignées de noix et une livre de fruits confits. Il voulait encore emmener la tarte Courcelles et une bouteille de Chartreuse, mais Madame Nini a émis une réserve : Il vaut mieux que tu prennes ça – a-t-elle dit, en mettant dans la poche du vêtement de son mari une douzaine de figues : Elles vont me rafraîchir lorsque je serai éreintée.

En épinglant sur nos vestes des gerbes de violettes, elle a conclu : Nous sommes très bien et, en secouant un grand manchon, elle a ouvert la parade en disant à son mari : Tu sais, mon chat, lorsque nous serons arrivés sur place, nous nous arrêterons dans un restaurant car je sens qu’il me manque quelque chose… Ciel !

… Quelle équipée pour s’y rendre
En sortant dans la rue, nous avons eu un avant-goût des festivités nocturnes. Du haut de leur siège, les cochers pestaient, se croyant tout puissants. Devant les arrêts des autobus, les gens grouillaient en attendant qu’on appelle le numéro qu’ils avaient pris au guichet. Les petits omnibus passaient lentement remplis de passagers, et les conducteurs criaient avec un accent caractéristique : A l’Exposition – porte Rrraapp… cinquante centimes.

Monsieur, un parisien pur sang, se sentait dans son univers. Il sautait, courait d’un cocher à l’autre en leur montrant une pièce de 5 francs. Enfin, un cocher nous a acceptés dans son fiacre : Mais vous savez, mon bourgeois – a-t-il dit, en se penchant de son siège : C’est cent sous ! Nous sommes partis.

Des deux côtés des boulevards, des colonnes noires de gens avançaient rapidement dans la direction de l’Exposition. Des milliers de fiacres, de voitures et d’omnibus, occupaient le milieu de la rue, serrés les uns contre les autres. Par moments la circulation était entravée. Les agents de police, à la voix enrouée, fatiguée, s’affairaient entre des chevaux en essayant d’imposer un ordre. Les injures des cochers, le hennissement des chevaux, le rire des passagers faisaient un chaos indescriptible.

Une lueur couleur sang couvrait le ciel du côté du Trocadéro. Nous avons acheté 15 tickets à trois sous pièce et nous avons fait la queue devant l’entrée du Trocadéro. Le temps était splendide, le ciel pur, et l’air – bien que frais – était sec. Nous avons vite couru dans la direction du Palais.

De toutes les couleurs
Comment pourrais-je vous décrire le torrent mouvant dans lequel baignent en ce moment le Palais de Trocadéro et le Champ de Mars ? Tous les rebords du Palais, des fenêtres, des balcons, des balustrades, des ornements… sont soulignés par un fil lumineux. Des bouquets de lumière colorée scintillent comme des fleurs mystiques. Les immenses ailes du Palais forment des demi-cercles dorés. Tout flambe, brûle, tremble sous le souffle du vent. Dans la Seine, se réfléchissent les lumières qui se balancent sur le pont des bateaux qui s’y trouvent en grand nombre. Celles des restaurants sur l’eau sont rouges ; les bateaux près du Louvre sont parés de guirlandes vertes et de lampions aux lueurs dorées.

Sous la Tour Eiffel, la masse noire des gens bouge, crie et fait du bruit. Dans un kiosque, un orchestre joue un ancien air de polka. La foule commence à s’agiter. Les hommes sifflent, les femmes fredonnent. Soudain, des coups de canon ébranlent l’air. On dirait que la Tour Eiffel se met à brûler ! Toute entière ! Monstre flamboyant attisé par des diables, elle se consume en des couleurs pourpres. On distingue les lignes noires de l’échafaudage en fer et celles des poutrelles. Vue magique à vous couper le souffle. Des buissons alentour, jaillissent des lueurs rougeoyantes. Les fontaines prennent une couleur sang et déversent une pluie de rubis. Le vent agite les lampions accrochés aux arbres. Devant la statue de la République à laquelle la lueur des flammes semble imprimer un tremblement, la foule s’écrie : Vive la République !

Promenades parisiennes (3-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Paris vu de la Butte Montmartre
Il me fallait voir la Basilique du Sacré-Cœur dont les travaux se poursuivent au sommet de la Butte Montmartre. Me voici donc au milieu des échafaudages. Je les contourne et je me trouve sur un plancher en bois qui avance dans le vide comme une grande plate-forme. Devant moi, une mer de cheminées, de toits, d’arcs de triomphe… Derrière moi, comme une fiancée soudainement figée dans une pierre, énorme, blanche et majestueuse, la basilique de Montmartre domine la ville.

En ce moment précis, s’étendent à mes pieds les terrasses de Montmartre, que délimitent des poteaux jaunes et gris, aux teintes dorées mais atténuées. Je suis presque seule devant ce vide que la ville géante occupe de tout son corps. Le soleil se couche lentement. Aux alentours, règne un silence pénétrant, mystique… tandis que, comme portés par une ondulation de l’air, des hurlements incompréhensibles provenant du ventre de Paris, là-bas au loin, viennent échouer, vague après vague, au pied du sanctuaire.

Au premier plan, en partant du bas de la Butte, se trouve une masse de maisons étroitement entremêlées, dont on ne distingue qu’à peine les contours flous et la marque qu’y font les taches de verdure des arbres. Le plan suivant se perd dans une poussière couleur rouille qui s’élève, tel un poison qu’exhalerait le corps de la ville. Et au-dessus de tout cela, comme autant de phares, qui émergent de l’écume des vagues, surgissent soudain les tours noires de Notre-Dame, la scintillante flèche d’or des Invalides, l’ossature de la Tour Eiffel, Sainte Clotilde, le Panthéon, le Val de Grâce, Saint Sulpice et tant d’autres.

Au pied de la Butte, flotte un drapeau aux couleurs vives, tout neuf, désinvolte. Tout près, une cheminée d’usine arbore fièrement une couronne dorée. Au dessus de ma tête, des cerfs-volants bringuebalent de droite à gauche, comme de monstrueux papillons qui se seraient échappés de leur prairie. L’un d’entre eux est tombé dans un enfoncement de la partie haute de la basilique. Il s’est tapit là dans une niche vide, tache vert clair sur le fond pâle de la pierre.

Aristide Bruant dans son cabaret
Un jour, un ami m’a demandé :
Voulez-vous rencontrer Aristide Bruant ?
Je voulais le rencontrer, ce célèbre Aristide Bruant qui chante la misère.
Mais est-ce bien lui qui va me chanter A Saint Lazare ?
Il va le chanter !
– Et Sur l’trottoir aussi ?
Il le chantera aussi.
Alors, on y va !

Comme un gémissement de vent d’automne dans les rues sombres et humides de Paris, par-dessus les lumières incertaines du gaz des réverbères, on entend de temps en temps une note terrible et prolongée. Un voyou qui traînaille se met à brailler un couplet tandis que – tel un chien blessé, par-dessus les arbres lugubres qui bordent les boulevards vides – retentit maintenant un deuxième braillement, une deuxième strophe :
C’est de la prison que je t’écris,
O Mon pauvre Hippolyte.

Vers le ciel noir qui vire vers des tons rougeâtres, un gémissement animal monte à son tour en tremblotant :
A Saint-Lazare !

Venant de l’asphalte boueux marqué par les pas mal assurés de chaussures mouillées et par le bruit des talons déformés, un autre gémissement animal se fait entendre en écho, venant comme du dessous d’un catafalque où on aurait mis un cadavre à moitié dévoré par des loups affamés :
A Saint-Lazare !...

Tout y est, dans les chansons de Bruant : et la corruption, et la décomposition qui touche les prolétaires qui grouillent dans les passages nauséabonds des banlieues. On y trouve aussi les pleurs des enfants adultérins abandonnés comme des chiots, le gémissement de la jeune fille abusée, la voix à peine audible d’une femme affamée, des lueurs de couteaux en action, l’attente déchirante d’une misérable derrière les barreaux, le claquement de dents d’un mendiant frigorifié.

En un mot – ce chant résume tout le malheur de ces innocents et de ces perpétuellement affamés, dont le seul futur est le cercueil. De ceux qui, de Montmartre jusqu’à la Glacière, telle une légion bien entrainée qui avance en ordre de bataille, sont toujours prêts à répondre à l’appel du crime, leurs nerfs dansant la sarabande, la crampe à l’estomac, le cerveau vide, fixant le chiffon rouge qui s’agite devant leur yeux saturés par l’absinthe.

A peine rentrée au cabaret, la foule des invités s’est levée et m’a entourée. Un hurlement effrayant a retenti :
Oh-la-la, c’te gueule, c’te binette, Oh-la-la, c’te gueule qu’elle a !...
Et tout à coup, comme sur commande, ils ont tous tordu leurs mains jointes vers le bas, en signe de commisération :
Oh ! Qu’elle est pâle !

La porte s’est soudain ouverte. Sur le seuil, un homme trapu, une écharpe rouge autour du cou, les yeux mi-clos, a commencé d’une voix éraillée :
C’est de la prison que je t’écris,
O mon pauvre Hippolyte

Après un moment, Bruant a entonné une autre chanson :
A Montparnasse !

Les serveurs distribuaient des bocks de bière en faisant du bruit avec des soucoupes. Les invités criaient, hurlaient, s’injuriaient. Il y avait sans cesse quelqu’un qui entrait en faisant claquer la porte. Le gaz vacillait avec des à-coups tandis que Bruant continuait de chanter les yeux mi-clos en faisant des pas de faible amplitude, en produisant des sons inhabituels, gutturaux, ou comme d’un nanti. J’avais du mal à reconnaître la chanson que j’avais entendu retentir dans le silence de la nuit – celle qui m’avait souvent tirée de mon sommeil, et dont l’écho, telle une berceuse, revenait à la charge, entêtée et maladive...

Et j’ai été étonnée de voir que, après le chant, il est venu avec une soucoupe pour ramasser des sous. Dans ce cabaret où, désormais, le Tout-Paris intelligent, raffiné et élégant vient écouter ses chansons, je n’avais pas de mot pour ce commerce de la misère des autres. Au moment de mon départ, il s’est incliné en disant :
Bonsoir, Madame !

La porte franchie, j’ai entendu encore ce chant rigollot :
Tous les clients sont des cochons, la fari don daine, la fari don-don

En rentrant, j’ai tendu malgré moi l’oreille pour savoir si, dans le lointain, me parviendrait la voix enrouée d’un miséreux affamé et frigorifié qui, chanterait des airs de Bruant. J’attendais, en écoutant, qu’un gémissement me parvienne des noirceurs de Rochechouart ou des hauteurs de Montmartre, ce gémissement animal qui vous prend aux tripes… Mais les miséreux se sont tus, ils se cachaient dans des recoins. Il n’y avait que le vent pour agiter des branches dénudées et pour étirer des ombres incertaines au travers des rayons jaunes des réverbères.

jeudi 24 mars 2011

Promenades parisiennes (2-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Formation théâtrale en français
J’ai suivi des cours de diction chez Sylvain et Vernon du Conservatoire, puis chez Talbot, et au Cours Rudy. C’est avec Mary Samary, la sœur de la célèbre Jeanne Samary de la Comédie Française, qu’il me semble que je fais désormais le plus de progrès. Elle veut me présenter à l’Odéon pour un rôle de soubrette qui reste à pourvoir – Dorine ! Je travaille les rôles de Clytemnestre, de Lucrèce Borgia, de Phèdre. Mes professeurs me trouvent un emploi de tragédienne ! Samary et Worms me poussent à jouer – comme cette Agar, qui avait débuté dans des petits théâtres avant d’être, enfin, engagée à la Comédie Française ! On me dit : Va faire ton apprentissage ! Joue !, Joue sur une vraie scène !

Que la langue française est difficile ! Je parle de celle pour la scène ! Au Théâtre Saint-Martin et à Déjazet on joue des petites pièces. Je vais tenir le rôle d’une Dame. Samary m’a aidé à l’apprendre et elle m’a offert des bas noirs en dentelle – ceux de sa sœur, Jeanne. Cela devrait me porter la chance. Dans la pièce il n’y a que quatre personnages : le mari, la bonne, l’amant et moi. Après chaque répétition, je perds courage. C’est un rôle trop grand pour moi ! Je reste seule sur scène et j’ai des monologues longs de 20 vers. Après des nuits d’angoisse à faire des exercices de diction et à répéter le texte, je me suis fait réprimander par le metteur en scène. Cela m’a fait monter les larmes aux yeux, car j’ai prononcé blague au lieu de bague. Comment connaître de telles nuances ! Pendant ces quelques jours, j’ai perdu l’appétit et le sommeil. Et lorsque le débit du texte est rapide, mon accent sort comme le diable d’une boite !

Antoine et le Théâtre Libre
Je me suis rendue chez Séverine, la grande journaliste, au Cri du Peuple, et dans Gil Blas. Elle habite sur les Grands Boulevards. Nous avons sympathisé et c’est elle qui m’a présenté à Antoine – le directeur du Théâtre Libre. Antoine est très sympathique, doux, intelligent et très féru de compliments. Il m’a dit : Mon Dieu ! Je ferai tout mon possible pour vous défaire de votre accent ! Il m’interdit de parler le polonais ! Je travaille tranquillement au Théâtre Libre. Un soir, je joue une bonne et j’ai deux mots à dire, un autre soir, je joue un rôle plus important. C’est comme ça qu’on fait ici et il n’y a pas à répliquer !

Au mois de mars, je vais jouer la princesse Danesco – une Roumaine – dans la pièce Simone de Louis de Gramont. C’est un rôle important et original : celui d’une hystérique morphinomane. Stefka Feindkind, ma compatriote et médecin, va me donner des informations d’ordre médical d’après l’étude clinique des morphinomanes ! Antoine m'a aussi donné un rôle de 300 lignes dans une pièce de Paul Bourget. Je joue une paysanne normande et je parle avec un accent normand, facile à reproduire…

Au Théâtre Libre, j’ai fait la connaissance de comédiens comme George Grand, Henriot, Ancey, Irma PierrotAntoine a licencié Henriot, parce qu’elle flirtait avec Grand. Je ne savais pas qu’il considérait le théâtre si sérieusement et si sévèrement. Il m’a dit : Je veux des femmes sérieuses. J’ai ouvert de grands yeux. C’est peut-être le premier directeur qui, à Paris, se comporte ainsi à cause d’une telle histoire.

Et si avant la première d’une pièce, son propre père avait quelque chose à lui demander, il l’aurait mis dehors. J’ai été témoin de ce que, pendant une des répétitions, ayant vu à l’entracte, Edmond de Goncourt et Richepin sur la scène, il s’est élancé vers eux comme un fou en hurlant : Monsieur de Goncourt, foutez-moi le camps d’ici. Et Goncourt s’est exécuté.

Plus d’une fois, j’ai assisté à des répétitions au Théâtre Libre : cela se passe dans une immense salle éclairée par huit becs de gaz. Contre les murs, il y a des sofas rouges, et une multitude de coussins. A gauche, un tableau noir sur lequel les heures de répétition et les titres des pièces sont marqués à la craie. Sur les sofas et sur des chaises, une dizaine de personnes sont assises, immobiles et silencieuses. Des femmes coiffées à la Rachel et des hommes, un peu pâles, à la barbe rasée, assistent à la répétition.

Dans ce silence presque religieux, la voix d’une femme dit une tirade, longue et passionnée, lorsque, d’un coin de la salle, s’élève une voix au timbre étouffé mais autoritaire : Nom de nom… Taisez-vous ! L’actrice se tait, comme arrêtée par une force invisible. Une silhouette d’homme apparaît dans la clarté : c’est Antoine. Interrompue un moment, la répétition continue. Antoine intervient désormais plus fréquemment. Il jette quelques mots, suggère une intonation de la voix. D’un geste, il rassemble, puis disperse le groupe d’artistes, en observant une logique stricte, en créant des situations simples, en sculptant ce bloc brut que constitue chaque pièce nouvelle destinée à en passer par les rouages de la scène. Les actrices doivent s’habiller de robes simples. Antoine les dépouille des parures inutiles. Elles se présentent devant le public habitué aux toilettes de Worth et de Félix. La simplicité, la simplicité c’est le mot-clé ici.

Un jour, j’en suis sûre, une statue d’Antoine sera érigée sur une des places de Paris.

Répétitions pour Simone
Je répète le rôle de la princesse Danesco dans la pièce Simone. Mon accent ne dérange pas, et au contraire, il sert le personnage. Je n’ai plus de trac et j’attends même la première avec impatience. Antoine m’a fait des compliments devant tout le monde. Il m’a dit : Vous aurez un très grand succès… d’ailleurs vous le méritez. Je lui ai demandé : Dites, bien franchement, trouvez-vous que j’ai du talent ? Il m’a répondu : Beaucoup ! Dans un an vous perdrez votre accent, et vous serez une grande artiste. Je suis très contente. Dans quelques jours, donc, je serais sur scène ! Quel travail ! J’ai parfois répété 300 fois le même mot ! Cela a pris du temps mais cela donne des résultats ! Je ne sais pas comment le public va réagir.

Au premier acte, je vais porter une robe couleur d’héliotrope en velours, un boa en angora, un manchon en velours, un chapeau en forme de bonnet, couvert de sequins et une aigrette en plumes, couleur orange. Au deuxième acte – j’aurai une robe gris-perle, claire, couverte de dentelles blanches de Venise – de Burano – et bordée de rubans blancs en velours, un grand chapeau en dentelles de Venise lui-aussi, agrémenté de fleurs de pavot, couleur gris-perle et de rubans blancs en velours. Pour le troisième acte – la robe sera noire, en soie, avec un corsage en tulle noir, paré des rubans jaunes, et j’aurai un parapluie noir. Ces habits sont très jolis et assez modestes, mais distingués. Rzewuski et Makowski, mon cousin, m’ont avancé de l’argent à cette occasion.

Promenades parisiennes (1-F)



Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Zapolska arrive à Paris
Le train avance, comme une bête à bout de souffle qui se rapproche de son gîte. Il est en retard et fonce devant lui, dans le grondement et le fracas de ses roues. De deux côtés de la voie, des rails couleur rouille défilent, ainsi que des pylônes verticaux, aux lampes tantôt allumées, tantôt non, rouges ou vertes.

C’est bientôt le tour des maisons de la banlieue de Paris, dressées comme des jeux de cartes. Des murs s’élèvent – gris, hauts, largement recouverts d’affiches au fond bleu, rouge, et jaune, pour de la réclame. J’appuie mon visage sur des barres du wagon et, à travers la vitre, j’absorbe ces images, ces surfaces carrées, dont les tonalités brunâtres envahissent les rebords du défilé. Et je lis de façon répétée : Géraudel ! Géraudel !

Le train se met à crisser et à gémir. Il s’engouffre de façon impétueuse sous la verrière d’un toit soutenu par des poutrelles grises. Nous sommes en 1889 – je viens d’arriver de Varsovie à Paris, à la Gare de l’Est.

J’avais écrit une longue lettre à Maria Szeliga qui vit depuis un certain temps à Paris. C’est elle qui m’introduit dans le milieu polonais. Un autre ami, Stanisław Rzewuski, un auteur dramatique très apprécié à Paris, connaît ma situation matérielle : il me propose de payer mes cours d’art dramatique, car mon désir est de jouer au théâtre afin de conquérir le public français.

J’ai obtenu une carte de Correspondante officielle – ce qui me permet d’écrire des articles pour des journaux à Varsovie… et de découvrir Paris. Grâce à quoi je peux subsister à mes besoins.

L'Exposition Universelle de 1889 et la Tour Eiffel
J’ai ainsi constaté à quel point les Français sont excités à l’idée de monter en haut de la Tour Eiffel qui vient d’être ouverte au public. Ils sont en même temps très curieux de visiter l’Exposition Universelle qui s’étend à ses pieds. Moi aussi, je me suis précipitée au Champ de Mars pour voir ces merveilles.

Les Français appellent l’Exposition Le pays de Fées et ils ont raison. On voudrait rencontrer ces fées qui ont produit tant de merveilles ! Mais de Fées, pas la moindre trace. Ceux qui ont produit tout cela, on peut les compter par milliers, tellement modestes et si petits devant leurs œuvres. De cette fourmilière inondée de lumière, émerge – vers les hauteurs – vers le ciel – une merveille, comme de la dentelle et des lampes assemblées.

C’est en vain que, sur l’Esplanade, des faisceaux lumineux s’entrecroisent… en vain que le Pavillon d’Argentine, pareil à un palais enchanté, scintille de lumières pourpres, bleues ou vertes… en vain que, sur le Pavillon du Gaz, un génie fait jaillir de la paume de sa main un jet du feu !... en vain que des jets de couleurs lilas ou saphir font que la Galerie centrale baigne dans des écumes… en vain que la Galerie des machines, telle un serpent, allonge son corps flamboyant. Tous ces feux, toutes ces lueurs pâlissent à côté de la Tour

Croquis : les visiteurs à l'Exposition
Ah ! Quelle foule, diverse, de toutes les races, parlant toutes les langues, multicolore ! Lorsque tombe le crépuscule, celle-ci se déverse par les portes comme une large rivière, recouvre l’Esplanade, l’allée de La Bourdonnais, le pont d’Iéna, l’avenue Rapp, la rue du Caire. Elle court, crie, s’amuse, se bouscule, inonde les bazars orientaux, les restaurants, les cafés, les gazons. Les gens grimpent les escaliers du pavillon du Globe terrestre, engloutissent des milliers de tasses de thé indien qui fait transpirer quiconque s’en abreuve. Ils se font arnaquer dans des restaurants où la portion de bouillon coûte 1 franc et où il faut payer séparément pour le couvert, la nappe et une assiette. D’autres personnes sont plus économes. Elles apportent de grands pains, sortent de leurs poches gâteaux, viandes et bouteilles de vin, s’assoient sur les gazons à même le sol, ou bien sur les machines qui sont exposées en plein air.

On mange beaucoup ici et en permanence. On mange dans des ascenseurs de la Tour Eiffel, dans la Salle des machines, devant ces joyaux qui valent des millions sous les lumières chatoyantes de l’électricité ! On mange partout et encore ! On voit ainsi des dames qui achètent des sandwiches, des tartines, des galettes. On en voit qui boivent du lait, de l’orangeade servie par les garçons noirs, et d’autres qui boivent des bocks, servis par des Indiens. Il semble que l’unique souci qui anime les Français soit de bien manger !

Mais en ce qui concerne la manière de s’habiller ! Mon Dieu… Que ces dames qui rodent autour de la Tour Eiffel, sont peu soignées. Le chic ? C’est un mot inconnu ici ! O gracieuses Varsoviennes ! Comme le charme de vos silhouettes contraste avec le tableau bizarre que j’ai sous les yeux. Ces dames portent des mitaines, n’ont aucun charme et se tiennent les mains sur les hanches ! Les plus vieilles portent des moustaches comme des hussards !

Ne pleurez donc pas, belles dames, si votre mari vous dit incidemment, en buvant son café le matin : Tu sais, Ma Chérie, je vais à Paris. C’est pour voir… la Tour Eiffel ! - souriez seulement, de ce sourire voluptueux qui est le vôtre et, en arrangeant les dentelles de votre négligé du matin, répondez lui : Bien sûr, Mon Chéri ; va la voir… la Tour Eiffel. Je t’attendrai ici. Vous pouvez l’attendre sans crainte. Ces célèbres – lâchons le mot – pècheresses publiques parisiennes… ce sont des femmes fardées comme des poupées empaillées – les chignons roux des dames d’ici vont faire que votre ingrat de mari reviendra vers vous avec multitude des flacons d’essence de rose, de nombreux bracelets d’Égypte, des éventails en plumes avec des franges dorées, et les plus belles broderies… ainsi que des haches plus ou moins rouillées – pour parer les murs de votre appartement.