samedi 30 octobre 2010

Se souvenir, transmettre


Voici trois ans, Frédéric Brun reçoit pour Perla le Goncourt du premier roman. C’est un hymne à sa mère, déportée et qui avait survécu à Auschwitz. C’est un livre sur l’amour, la naissance, la mémoire et la transmission. Le narrateur se sent attiré par Novalis, Hölderlin, Schlegel et se pose la question : comment l’Allemagne a-t-elle pu engendrer la poésie la plus pure et la barbarie la plus totale ?

Perla est suivi par Le Roman de Jean – son père, Jean Dréjac qui a écrit les paroles de Sous le ciel de Paris, L’Homme à la moto, Ah ! Le Petit Vin blanc…, puis rencontré et aimé Perla. Ce récit mêle d’autres interrogations et l’évocation de philosophes antiques qui ont pensé la mort.

Le dernier volume de cette trilogie publiée chez Stock, Une prière pour Nacha a reçu le Prix 2010 des Écrivains croyants. Élevé sans tradition religieuse – la mémoire de la branche juive de sa famille ne lui a pas été racontée – éduqué par un père chrétien, cet ouvrage sur la sœur de sa mère est l’occasion d’une autre quête encore : sur les racines de ses ancêtres, à Olkusz, son village natal de Pologne, notamment. Revient le thème de la transmission : Que peut-on encore transmettre dans la mémoire neuve de ses enfants ? Mais aussi – Maimonide ou Spinoza peuvent-ils faire un pont, à cet égard ? – celui d’une espérance à la croisée des religions.

Lors de sa présentation, Frédéric Brun sera accompagné par Jean-Yves Potel. Écrivain, universitaire spécialiste de l’Europe Centrale, il a travaillé plusieurs années à l’Institut français de Varsovie et a fait paraître, l’an dernier La Fin de l’innocence : la Pologne face à son passé juif (Éditions Autrement). Lisbeth Virol, formée au Conservatoire national de Varsovie et qui vit depuis longtemps en France, lira des extraits des ouvrages ci-dessus.

Animés par Jean Lou Guérin depuis dix ans, les Mardis Littéraires se tiennent au premier étage du Café de la Mairie, sur la place Saint Sulpice. Venez un peu en avance pour mieux vous installer et commander une consommation, si l’envie vous en prend. Début de la séance à 20h30, le mardi 16 novembre.


Sur l'illustration, la photo de Frédéric Brun est de David Balicki

mercredi 20 octobre 2010

Actrices slaves en France


Mais qu’est ce qui a fait courir à la fin de XIXème siècle des actrices étrangères à Paris, pour gagner le public parisien et de se faire consacrer ? Leur soif de reconnaissance devrait être suffisamment fort, pour oublier le contexte, le goût des parisiens, leur réticence à l’égard du moindre accent. Comme des papillons de nuit, affluent à Paris - la Ville-Lumière - de jeunes et jolies femmes, reconnues dans leur pays en tant qu’actrices. Certaines débutent seulement sur scène en France. Mais, dans la plupart du temps dans le cas des Slaves, elles n’arrivent pas à s’imposer sur scène.

C’est le cas d’une jeune et belle femme, une Polono-Ukrainienne, Julie Feyghine, qui a payé cher son apparition sur la scène de la Comédie Française. Maitresse du duc de Morny, elle avait à prononcer une certaine phrase dans la pièce de Musset, La Barberine. Son accent lui a joué des tours. Déçue par l’accueil du public, et par le duc, elle s’est tiré une balle dans la tête. Le journal Le Soir, en 1882, a écrit : Pauvre fille ! Ce fut aussi parce qu’elle était bizarre, d’une beauté exquise à la fois tragique, qu’on l’affubla du costume oriental de Kalékairi et qu’on la lança, du premier coup, sur les planches de la Comédie Française. On lui avait tout promis : les bravos, les fleurs, les sourires. Et Kalékairi vit, en un soir, ce que valent les promesses des prophètes. Elle dut garder dans ses oreilles roses le bruit confus de la stupéfaction et des sourires. Elle ne s’en consola point et rêva des revanches inouïes. Revanche par le talent et par le luxe, revanche aussi par l’amour.

Une autre actrice, Maria Wisnowska – elle qui avait été la coqueluche de Varsoviens – malgré l’appui de l’auteur Édouard Pailleron et malgré tous ses efforts, elle n’arriva pas à perdre son accent originel et, [déçue], elle retourna en Pologne. Dans le journal L’Illustration du 21 février 1891, après sa mort violente, assassinée par un officier russe, Bartienieff, paraît un article signé par Adolphe Aderer, qui écrit : Nous ne devons pas laisser partir […] sans une parole de sympathie une charmante femme, une comédienne, et qui n’avait eu [dans] sa vie, qu’un rêve unique, celui d’être une actrice de Paris.

En 1889, arrive à Paris Gabriela Zapolska avec la détermination de mettre le public parisien à ses pieds. Elle y parvient, en jouant dans des rôles secondaires, rôles dits de caractère, où l’accent est quelque chose en plus. Les journaux louent son jeu, sont enthousiastes.

Mais par quel travail et effort a-t-elle dû passer ! Il ne s’agit plus ici des difficultés en raison de l’accent sur scène. En Pologne, des compatriotes, jaloux de sa réussite, ne comprennent pas qu’elle se satisfasse de rôles secondaires, et en plus … chez Antoine, au Théâtre Libre ! Antoine, un employé du gaz ! Ils n’avaient pas compris l’enjeu et l’évolution de l’art dramatique qui se dessinait en France, ainsi que dans d’autres domaines artistiques. Antoine, ce génial Antoine, comme l’écrivait Zapolska dans ses articles, avait engendré un nouveau style de jeu, basé sur des observations de la vie quotidienne – une tranche de vie. D’autres théâtres en Europe vont bientôt profiter de son travail. Le Polonais eux-mêmes bénéficieront de ce style dépouillé, sobre, simple, notamment dans des mises en scène au théâtre Reduta.