dimanche 18 juillet 2010

Tout est dans le texte

"Tout est dans le texte" nous a-t-on martelés au cours des années d’apprentissage au Conservatoire d’Art dramatique, et plus tard aussi, pendant des répétitions au théâtre, lorsque nous commencions à voler de nos propres ailes. Je me souviens des propos "d’authentiques gens du théâtre" comme Laurent Terzieff ou Jacques Lassalle, et d’autres encore qui disaient la même chose.

D’accord, mais quel texte ?

Cette année, à Avignon, pendant la première semaine du Festival, j’ai vu cinq spectacles "Off". Je n’ai pas mis les pieds au "In", à l’exception de quelques lectures.
Plus de 800 compagnies se produisent tout au long du mois de juillet : il est impossible de cibler des bons spectacles du premier coup d’œil.
De jeunes acteurs, encore naïfs et pleins d’espoir se bousculent devant des potentiels spectateurs, font de la publicité, chantent, les abordent avec audace et entrain – presque du racolage…

J’ai eu la chance d’assister à des spectacles par des acteurs professionnels, en solo le plus souvent.

J’ai ainsi pu voir Marie Grudzinski au théâtre du Cabestan, dans Palatine, dans la mise en scène de Jean-Claude Seguin. Celui-ci signe ici une adaptation de la correspondance de la princesse Palatine, Liselotte, seconde épouse de Monsieur, frère de Louis XIV. L’actrice incarne bien ce personnage qui témoigne la vie à la Cour, en y portant, du fait de son origine, le regard rare et malicieux d’une étrangère à la langue bien trempée. Dans ce rôle, Marie Grudzinski garde un petit accent allemand et, par son habileté d’actrice professionnelle, traverse le temps en vieillissant doucement. Le texte porte le personnage, lui permet d’exister. C’est une réussite.

La difficulté la plus fréquente, quand on a trouvé un bon texte, est la question des droits d’auteur. Certains acteurs écrivent leur propre texte et l’assument pleinement sur scène. Voici un autre spectacle en « solo » et qui m’a plu : dans la salle Van Gogh du Petit Louvre, j’ai découvert une actrice intelligente, belle, jeune, qui a écrit son propre texte : Dominique Charpentier – sous son nom de plume, Dominique Hennegrave. Son spectacle a pour titre Portraits série/portraits cruels.

Devant nous, les spectateurs, libre de son corps, consciente de ce qu’elle veut présenter, l’actrice évolue sur scène avec rigueur, exigence et précision. Elle joue dans le dépouillement, sans décors. Uniquement portée par le texte. Par les attitudes que prend son corps, elle dessine le caractère de ses personnages, crée des situations en proférant des mots, parfois brefs, pris à vif ou en dialogue. Le regard qu’elle porte sur les personnages qu’elle s’est choisis est aigu, bien observé. C’est un très bon travail. Bravo.

J’ai vu un autre spectacle d’un seul acteur, au Théâtre de la Tache d’Encre, dans la salle dite du Rat, où joue Zbyszek Rola dans une mise en scène de Guy Cambreleng. Il incarne le rôle d’un Russe solitaire et vieillissant dans la pièce La poste populaire russe d’Oleg Bogaïev. L’existence de ce personnage est teintée d’absurde, de tragique. De la pièce se dégagent la loufoquerie et la dérision d’un homme qui s’écrit lui-même des lettres. Des lettres adressées à l’administration russe et à des personnages connus en Russie comme Staline ou comme un cosmonaute, ou en Angleterre, à la reine Elisabeth. Le personnage de la pièce écrit également les réponses que lui font ces personnalités imaginaires. Il les glisse dans des enveloppes puis les épingle sur une sorte d’échelle. C’est la seule activité de sa morne existence. Zbyszek Rola accompagne son spectacle de chants russes. J’aurais aimé que la pointe d’humour sous-jacente soit davantage soulignée.

Au Cabestan, de nouveau, j’ai assisté à la pièce de Françoise Sagan : Le cheval évanoui, jouée par plusieurs comédiens, dans la très bonne mise en scène d’Alexandre Berdat. Pour profiter de la vie et vivre en homme fortuné, Hubert Darsay trouve une solution : se marier avec une riche héritière, Priscilla. Il vit avec Coralie, son amante, et c’est avec elle qu’il trame ce scénario vaudevillesque. Dotée d’une âme sensible, Coralie se laisse charmer par le père de la future mariée, le gentleman Henry-James, qui devine l’intrigue. C’est en fait une comédie de mœurs, bien écrite, bien jouée, ayant succès auprès du public. L’équipe s’était déjà produite dans la même pièce au Théâtre du Nord>Ouest. La distribution des personnages est bien choisie et les comédiens l’assument à merveille.

Une très belle et talentueuse comédienne, Stéphanie Lanier évolue seule sur scène dans Le jeu de la mémoire, écrit par Gérard Vantaggioli, au théâtre du Petit Chien : la vie d’une star du cinéma en cours de tournage, s’entremêle avec des souvenirs brûlants de sa vie affective. Stéphanie est une excellente actrice, pouvant jouer dans des registres divers, à la palette étendue. Elle est à même de défendre des textes encore plus exigeants – j’aimerais bien l’y voir.

Un très beau texte de Tchekhov : La Dame au petit chien, lu à la Maison de Jean Vilar par Muriel Mayette, l’Administratrice de la Comédie-Française m’a enchanté. Non seulement le texte est excellent mais la lecture a été faite avec du professionnalisme et de la classe.

J’ai assisté à une autre lecture de Tchekhov : des extraits de son Journal par Julie Brochen, un peu éparpillée, enjouée, mais les conditions d’’écoute ont été plus difficiles.

Tout est dans le texte ! Mais il s’agit de le bien choisir, de le décortiquer, savoir l’exploiter et de le porter à la scène… pour le bien du public.

LE CABESTAN - 11, rue du collège de la Croix
04 9086 1174
http://lecabestan.canalblog.com

Théâtre du Loup Blanc
PALATINE
Avec Marie Grudzinski
Adaptation- mise en scène de Jean-Claude Seguin
Tous les jours à 18h45

Compagnie Alexandre Berdat
LE CHEVAL ÉVANOUI
De Françoise Sagan
Avec Yves Jouffroy, Nicole Gros, Martha Mailfert, Jef Esperansa, Claudia Taïna, Ludovic Coquin, Julien Dodoz, Gérard Cheylus
Mise en scène d’Alexandre Berdat
Tous les jours à 15h10

LE PETIT LOUVRE - Salle Van Gogh - 23, rue Saint Agricol
04 3276 0279
http://le-petitlouvre.com

PORTRAITS SÉRIE / portraits cruels
De Dominique Hennegrave
Avec Dominique Charpentier
Tous les jours à 21h35

LA TACHE D’ENCRE - Salle du Rat - 1, rue de la Tarasque
04 9085 9713
la.tache.dencre@wanadoo.fr

LA POSTE POPULAIRE RUSSE
D’Oleg Bogaïev
Avec Zbyszek Rola
Adaptation-mise en scène de Guy Cambreleng
Tous les jours à 16h00

LE PETIT CHIEN - 16, rue Guillaume Puy
04 9085 8949
http://www.chienquifume.com

LE JEU DE LA MÉMOIRE
Texte et mise en scène par Gérard Vantaggioli
Avec Stéphanie Lanier
Tous les jours à 17h25

vendredi 2 juillet 2010

Mes découvertes

Jansem - Allégorie au vieillard, 1989
Huile sur toile - 130 x 162 cm

Je garde le souvenir de cette nuit au cours de laquelle les galeries étaient restées ouvertes pour accueillir le public. C’est, rue Matignon, un beau quartier, que j’ai été happée par les tableaux de Jansem, un peintre que j’y ai découvert.
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De format conséquent, ces tableaux m’ont fait penser à des scènes de théâtre : enchâssés dans des cadres, des personnages grotesques imaginés par l’artiste vivent pleinement leur vie. Ils sont souvent représentés en groupe. Leur visage, parfois grimaçant, exprime l’angoisse. Apparentés à la peinture d’Ensor, ces personnages, peints d’une manière réaliste, semblent être venus d’un monde fantastique. On y voit des Pierrot, des marionnettes, des danseuses, des militaires dans leur habit d’apparat, des gens qui participent à un carnaval.

Jansem présente l’Homme dans sa souffrance et dans sa condition humaine. Il a son style bien à lui. A la frontière entre la réalité et l’imaginaire, l’artiste porte une grande tendresse pour des êtres et pour la vie. La palette de ses couleurs est proche du pastel, les contours des silhouettes semblent dessinés à l’encre. L’artiste peint en faisant appel à plusieurs techniques.

Venu de Turquie, Jansem (Ohannes Semerdjian) a vu le jour en 1920, dans le quartier arménien de Seuleuze (Susurluk). C’est à Paris qu’il apprend à peindre, en fréquentant des cours du soir à Montparnasse, puis à l’Ecole des Arts Décoratifs. Désormais peintre renommé et reconnu dans le monde entier, Jansem est pour moi un artiste de grande envergure qui, par son art, sait émouvoir les gens par son approche humaniste.


Jansem, Le roi des borgnes, 1978
Huile sur toile - 114 x162 cm

Les oeuvres de Jansem sont exposées à la GALERIE MATIGNON
18, avenue Matignon - Paris 8e