dimanche 28 février 2010

Découvrir Antoine


La Bibliothèque nationale de France (BnF) prépare une exposition Qumrân, le secret de manuscrits de la Mer Morte. Ces manuscrits sont considérés parmi les plus importants au monde et constituent les traces les plus anciennes de textes religieux juifs connus à ce jour ayant donné naissance à la Bible. L’article paru dans les Chroniques de la BnF me fait penser à ces innombrables sujets qui attendent d’être remis sur selle et dont les historiens et chercheurs raffolent, pour faire de nouvelles découvertes.

J’ai ainsi appris qu’on ne connaissait pas très bien Antoine en Pologne ni le travail qu’il a entrepris dans son théâtre naturaliste, à la fin du XIXe siècle. « Antoine – mais c’est un employé du gaz qui a travaillé avec des amateurs » a-t-on souvent dit du côté de la Vistule… et parfois encore aujourd’hui. Par ailleurs, les recherches ont été en partie figées et orientées – on n’avait pas intérêt à s’écarter de la ligne tracée par les spécialistes d’histoire de l’époque. Même si ses œuvres ont été régulièrement jouées, l’œuvre de Gabriela Zapolska n’a pas été toujours bien comprise. Alors qu’elle avait travaillé avec Antoine dans son théâtre, son témoignage à cet égard n’a pas été pris au sérieux en Pologne – pendant de longues années, et parfois jusqu’à nos jours.

Dans une lettre de septembre 1909, Zapolska écrit à son mari Stanisław Janowski : « Que les Russes aient bien joué à [Kiev], ce n’est pas étonnant. Ce sont de merveilleux artistes et ce que tu as vu, c’est ce que tu aurais pu voir chez Antoine – car Stanislavski a fait un stage d' une demi-année chez Antoine. » (Lettres de Zapolska, tome II, PIW, Warszawa, 1970, recueil fait par Stefania Linowska – c’est bien ce qu’elle a écrit, il n’est pas facile de faire les recoupements nécessaires). Un autre metteur en scène polonais, Tadeusz Pawlikowski, a également séjourné à Paris à cette époque et s’est informé sur la méthode du jeu naturaliste chez Antoine. Il a accueilli Zapolska dans son théâtre à Cracovie, après le retour de celle-ci en Pologne. Elle a alors pu jouer dans un répertoire inspiré du Théâtre Libre, dans des pièces qu’elle a traduites elle-même.

Le récent ouvrage collectif d’historiens du théâtre publié chez L’Harmattan en 2007 : Le théâtre libre d’Antoine et les théâtres de recherche étrangers, sous la direction de Philippe Baron et avec la collaboration de Philippe Marcerou, retrace l’influence d’Antoine dans de nombreux pays : Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Danemark, Grèce, Hongrie, Japon, Pologne (où Gabriela Zapolska, notamment, a été un témoin direct), Portugal, Russie, Tchéquie. Des sociétés théâtrales fondées dans ces pays à l’image du Théâtre Libre se sont donné des noms similaires, certaines avec un nom calqué sur le français : La Freie Bühne de Berlin, l’Independent Theater de Londres, Scena Niezależna (la Scène Libre) – troupe fondée par Gabriela Zapolska, ainsi qu’une école dont des méthodes de travail ont été inspirées par sa formation pratique chez son professeur Talbot et chez Antoine.

Dans le Dictionnaire Encyclopédique du théâtre, publié sous la direction de Michel Corvin, chez Bordas en 1991, on considère André Antoine comme l’inventeur de la mise en scène moderne. Il a, de plus, été acteur, directeur du théâtre, metteur-en-scène et critique dramatique. On dit aussi de lui qu’il était un émule des théories de Zola sur la mise en scène.

Dans ce même ouvrage, Jean-Pierre Sarrazac précise qu’« Antoine entend donc reproduire fidèlement et exactement sur la scène un milieu social précis et inciter l’acteur à jouer le plus naturellement possible dans ce milieu reconstitué (et, au besoin, en tournant le dos au public) de façon que le personnage, conformément au déterminisme que véhicule le naturalisme, paraisse un produit, voire une excroissance de ce milieu. Comme Zola, Antoine considère que le décor doit occuper au théâtre la place même que les descriptions tiennent dans un roman réaliste ou naturaliste. Et, de façon à donner l’impression à ses spectateurs qu’ils sont en train d’observer une "tranche de vie", selon l’expression qui fait florès à l’époque, il règle ses mises en scène en tenant compte d’un "quatrième mur" invisible derrière lequel est censée se dérouler l’action dramatique. Au Théâtre Libre, puis au théâtre Antoine, à partir de 1897, Antoine entreprend de faire table rase des vieilles conventions scéniques telles que le jeu déclamatoire à l’avant-scène, les toiles peintes représentant toujours le même salon bourgeois, les accessoires peints sur le décor.

« [Les dialogues entre des personnages] doivent se faire au plus près du ton réel de la conversation, le décor doit être conforme à l’époque, le milieu, et les accessoires doivent être vrais. […] Les mises en scène du théâtre Libre procèdent, comme celles de Stanislavski, l’homologue russe d’Antoine, d’une véritable reconstruction artistique du réel. »


Lorsque Zapolska décrit une leçon chez Antoine (voir dans ce bloc-notes, les billets des 7 juillet et 13 septembre 2009), elle s’exclame : « la simplicité, la simplicité, c’est le mot clé ici ».
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Illustration - André Antoine et une affiche par Paul Sérusier (peintre Nabi, compagnon de Zapolska) pour le Théâtre Libre de la pièce de Gerhart Hauptmann : L'Assomption de Hannele Mattern, dans laquelle Gabriela Zapolska a tenu deux rôles, celui de la Mère défunte (en bleu à gauche) et de la Diaconesse (en haut).

lundi 22 février 2010

Océans


Monstres marins au fond de l’onde. Tigres dans les forêts. Alouettes aux champs.
Jean de La Fontaine

Tout à coup, l’immensité de l’océan s’est ouverte devant moi à la projection du film de Jacques Perrin et m’a submergée de joie. De voir toutes ces créatures, jusque là cachées à nos yeux, certaines semblables à nous, les humains, et d’autres à des animaux domestiques – et qui vivent au tréfonds de notre planète, m’a profondément émue. Pour moi, ce film est mystique. Il est fait d’admiration devant la Création, devant la fantaisie de la Nature, devant son humour. Il est fait des silences et d’images merveilleusement belles. De la cruauté aussi. Mais avant tout, on y sent de l’amour pour ces êtres étranges, difformes, si dissemblables entre elles, mais qui vivent selon des lois immuables de la vie, marquées par la tendresse, l’amour maternel, la survie, la prédation. Cette vie, filmée sous l’océan, nous a été offerte pour la première fois avec une telle intensité et vérité. Le film est fait pour faire réfléchir à propos de notre attitude destructrice envers la vie sous toutes ses formes, envers nous-mêmes. Une belle musique s’accorde avec des images.

Un petit garçon observe, dans un musée, ces espèces capturées, tuées, naturalisées. Certaines d’entre elles ont disparu à jamais…