mercredi 29 décembre 2010

La mise en scène de la vie quotidienne

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Tel est le titre de l’ouvrage bien connu d’Erving Goffman, un sociologue, qui, lorsque je l’ai découvert, m’avait fascinée.

Grâce à lui, j’ai mieux pris conscience que les gens, dans leur vie de tous les jours jouent un rôle qu’ils s’imposent à eux-mêmes ou qu’on leur impose – dans leur lieu de travail, par exemple. Ainsi conditionnés, ils peuvent continuer de jouer ce rôle toute une vie. Pensons au cuisinier qui, dans son lieu de travail, revêt un bonnet blanc ainsi que l’habit approprié ; et, avec une conscience professionnelle, il exécute les mêmes gestes de façon répétitive, auprès de son fourneau.

Le monde est un théâtre

Être réellement un certain type de personne, ce n’est pas se borner à posséder les attributs requis, c’est aussi adopter les normes de la conduite et de l’apparence que le groupe social y associe, écrit Goffman.

Le philosophe Jean-Paul Sartre en avait proposé une bonne illustration : Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, et le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. […] Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? […] Il joue à « être un garçon du café. » […] Le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser.

Le travail de comédien, lui donne de nombreuses occasions de donner vie à des personnages dans diverses situations. A chaque fois, ce processus aboutit à une succession de représentations devant le public, ce qui, pourtant, ne dure pas dans le temps. Le spectacle ne restera que dans le souvenir du public et laissera une empreinte relativement fugitive du rôle chez l’interprète. C’est une richesse pour le comédien, que de revêtir la peau du personnage dans le contexte de sa condition sociale.

samedi 30 octobre 2010

Se souvenir, transmettre


Voici trois ans, Frédéric Brun reçoit pour Perla le Goncourt du premier roman. C’est un hymne à sa mère, déportée et qui avait survécu à Auschwitz. C’est un livre sur l’amour, la naissance, la mémoire et la transmission. Le narrateur se sent attiré par Novalis, Hölderlin, Schlegel et se pose la question : comment l’Allemagne a-t-elle pu engendrer la poésie la plus pure et la barbarie la plus totale ?

Perla est suivi par Le Roman de Jean – son père, Jean Dréjac qui a écrit les paroles de Sous le ciel de Paris, L’Homme à la moto, Ah ! Le Petit Vin blanc…, puis rencontré et aimé Perla. Ce récit mêle d’autres interrogations et l’évocation de philosophes antiques qui ont pensé la mort.

Le dernier volume de cette trilogie publiée chez Stock, Une prière pour Nacha a reçu le Prix 2010 des Écrivains croyants. Élevé sans tradition religieuse – la mémoire de la branche juive de sa famille ne lui a pas été racontée – éduqué par un père chrétien, cet ouvrage sur la sœur de sa mère est l’occasion d’une autre quête encore : sur les racines de ses ancêtres, à Olkusz, son village natal de Pologne, notamment. Revient le thème de la transmission : Que peut-on encore transmettre dans la mémoire neuve de ses enfants ? Mais aussi – Maimonide ou Spinoza peuvent-ils faire un pont, à cet égard ? – celui d’une espérance à la croisée des religions.

Lors de sa présentation, Frédéric Brun sera accompagné par Jean-Yves Potel. Écrivain, universitaire spécialiste de l’Europe Centrale, il a travaillé plusieurs années à l’Institut français de Varsovie et a fait paraître, l’an dernier La Fin de l’innocence : la Pologne face à son passé juif (Éditions Autrement). Lisbeth Virol, formée au Conservatoire national de Varsovie et qui vit depuis longtemps en France, lira des extraits des ouvrages ci-dessus.

Animés par Jean Lou Guérin depuis dix ans, les Mardis Littéraires se tiennent au premier étage du Café de la Mairie, sur la place Saint Sulpice. Venez un peu en avance pour mieux vous installer et commander une consommation, si l’envie vous en prend. Début de la séance à 20h30, le mardi 16 novembre.


Sur l'illustration, la photo de Frédéric Brun est de David Balicki

mercredi 20 octobre 2010

Actrices slaves en France


Mais qu’est ce qui a fait courir à la fin de XIXème siècle des actrices étrangères à Paris, pour gagner le public parisien et de se faire consacrer ? Leur soif de reconnaissance devrait être suffisamment fort, pour oublier le contexte, le goût des parisiens, leur réticence à l’égard du moindre accent. Comme des papillons de nuit, affluent à Paris - la Ville-Lumière - de jeunes et jolies femmes, reconnues dans leur pays en tant qu’actrices. Certaines débutent seulement sur scène en France. Mais, dans la plupart du temps dans le cas des Slaves, elles n’arrivent pas à s’imposer sur scène.

C’est le cas d’une jeune et belle femme, une Polono-Ukrainienne, Julie Feyghine, qui a payé cher son apparition sur la scène de la Comédie Française. Maitresse du duc de Morny, elle avait à prononcer une certaine phrase dans la pièce de Musset, La Barberine. Son accent lui a joué des tours. Déçue par l’accueil du public, et par le duc, elle s’est tiré une balle dans la tête. Le journal Le Soir, en 1882, a écrit : Pauvre fille ! Ce fut aussi parce qu’elle était bizarre, d’une beauté exquise à la fois tragique, qu’on l’affubla du costume oriental de Kalékairi et qu’on la lança, du premier coup, sur les planches de la Comédie Française. On lui avait tout promis : les bravos, les fleurs, les sourires. Et Kalékairi vit, en un soir, ce que valent les promesses des prophètes. Elle dut garder dans ses oreilles roses le bruit confus de la stupéfaction et des sourires. Elle ne s’en consola point et rêva des revanches inouïes. Revanche par le talent et par le luxe, revanche aussi par l’amour.

Une autre actrice, Maria Wisnowska – elle qui avait été la coqueluche de Varsoviens – malgré l’appui de l’auteur Édouard Pailleron et malgré tous ses efforts, elle n’arriva pas à perdre son accent originel et, [déçue], elle retourna en Pologne. Dans le journal L’Illustration du 21 février 1891, après sa mort violente, assassinée par un officier russe, Bartienieff, paraît un article signé par Adolphe Aderer, qui écrit : Nous ne devons pas laisser partir […] sans une parole de sympathie une charmante femme, une comédienne, et qui n’avait eu [dans] sa vie, qu’un rêve unique, celui d’être une actrice de Paris.

En 1889, arrive à Paris Gabriela Zapolska avec la détermination de mettre le public parisien à ses pieds. Elle y parvient, en jouant dans des rôles secondaires, rôles dits de caractère, où l’accent est quelque chose en plus. Les journaux louent son jeu, sont enthousiastes.

Mais par quel travail et effort a-t-elle dû passer ! Il ne s’agit plus ici des difficultés en raison de l’accent sur scène. En Pologne, des compatriotes, jaloux de sa réussite, ne comprennent pas qu’elle se satisfasse de rôles secondaires, et en plus … chez Antoine, au Théâtre Libre ! Antoine, un employé du gaz ! Ils n’avaient pas compris l’enjeu et l’évolution de l’art dramatique qui se dessinait en France, ainsi que dans d’autres domaines artistiques. Antoine, ce génial Antoine, comme l’écrivait Zapolska dans ses articles, avait engendré un nouveau style de jeu, basé sur des observations de la vie quotidienne – une tranche de vie. D’autres théâtres en Europe vont bientôt profiter de son travail. Le Polonais eux-mêmes bénéficieront de ce style dépouillé, sobre, simple, notamment dans des mises en scène au théâtre Reduta.

dimanche 18 juillet 2010

Tout est dans le texte

"Tout est dans le texte" nous a-t-on martelés au cours des années d’apprentissage au Conservatoire d’Art dramatique, et plus tard aussi, pendant des répétitions au théâtre, lorsque nous commencions à voler de nos propres ailes. Je me souviens des propos "d’authentiques gens du théâtre" comme Laurent Terzieff ou Jacques Lassalle, et d’autres encore qui disaient la même chose.

D’accord, mais quel texte ?

Cette année, à Avignon, pendant la première semaine du Festival, j’ai vu cinq spectacles "Off". Je n’ai pas mis les pieds au "In", à l’exception de quelques lectures.
Plus de 800 compagnies se produisent tout au long du mois de juillet : il est impossible de cibler des bons spectacles du premier coup d’œil.
De jeunes acteurs, encore naïfs et pleins d’espoir se bousculent devant des potentiels spectateurs, font de la publicité, chantent, les abordent avec audace et entrain – presque du racolage…

J’ai eu la chance d’assister à des spectacles par des acteurs professionnels, en solo le plus souvent.

J’ai ainsi pu voir Marie Grudzinski au théâtre du Cabestan, dans Palatine, dans la mise en scène de Jean-Claude Seguin. Celui-ci signe ici une adaptation de la correspondance de la princesse Palatine, Liselotte, seconde épouse de Monsieur, frère de Louis XIV. L’actrice incarne bien ce personnage qui témoigne la vie à la Cour, en y portant, du fait de son origine, le regard rare et malicieux d’une étrangère à la langue bien trempée. Dans ce rôle, Marie Grudzinski garde un petit accent allemand et, par son habileté d’actrice professionnelle, traverse le temps en vieillissant doucement. Le texte porte le personnage, lui permet d’exister. C’est une réussite.

La difficulté la plus fréquente, quand on a trouvé un bon texte, est la question des droits d’auteur. Certains acteurs écrivent leur propre texte et l’assument pleinement sur scène. Voici un autre spectacle en « solo » et qui m’a plu : dans la salle Van Gogh du Petit Louvre, j’ai découvert une actrice intelligente, belle, jeune, qui a écrit son propre texte : Dominique Charpentier – sous son nom de plume, Dominique Hennegrave. Son spectacle a pour titre Portraits série/portraits cruels.

Devant nous, les spectateurs, libre de son corps, consciente de ce qu’elle veut présenter, l’actrice évolue sur scène avec rigueur, exigence et précision. Elle joue dans le dépouillement, sans décors. Uniquement portée par le texte. Par les attitudes que prend son corps, elle dessine le caractère de ses personnages, crée des situations en proférant des mots, parfois brefs, pris à vif ou en dialogue. Le regard qu’elle porte sur les personnages qu’elle s’est choisis est aigu, bien observé. C’est un très bon travail. Bravo.

J’ai vu un autre spectacle d’un seul acteur, au Théâtre de la Tache d’Encre, dans la salle dite du Rat, où joue Zbyszek Rola dans une mise en scène de Guy Cambreleng. Il incarne le rôle d’un Russe solitaire et vieillissant dans la pièce La poste populaire russe d’Oleg Bogaïev. L’existence de ce personnage est teintée d’absurde, de tragique. De la pièce se dégagent la loufoquerie et la dérision d’un homme qui s’écrit lui-même des lettres. Des lettres adressées à l’administration russe et à des personnages connus en Russie comme Staline ou comme un cosmonaute, ou en Angleterre, à la reine Elisabeth. Le personnage de la pièce écrit également les réponses que lui font ces personnalités imaginaires. Il les glisse dans des enveloppes puis les épingle sur une sorte d’échelle. C’est la seule activité de sa morne existence. Zbyszek Rola accompagne son spectacle de chants russes. J’aurais aimé que la pointe d’humour sous-jacente soit davantage soulignée.

Au Cabestan, de nouveau, j’ai assisté à la pièce de Françoise Sagan : Le cheval évanoui, jouée par plusieurs comédiens, dans la très bonne mise en scène d’Alexandre Berdat. Pour profiter de la vie et vivre en homme fortuné, Hubert Darsay trouve une solution : se marier avec une riche héritière, Priscilla. Il vit avec Coralie, son amante, et c’est avec elle qu’il trame ce scénario vaudevillesque. Dotée d’une âme sensible, Coralie se laisse charmer par le père de la future mariée, le gentleman Henry-James, qui devine l’intrigue. C’est en fait une comédie de mœurs, bien écrite, bien jouée, ayant succès auprès du public. L’équipe s’était déjà produite dans la même pièce au Théâtre du Nord>Ouest. La distribution des personnages est bien choisie et les comédiens l’assument à merveille.

Une très belle et talentueuse comédienne, Stéphanie Lanier évolue seule sur scène dans Le jeu de la mémoire, écrit par Gérard Vantaggioli, au théâtre du Petit Chien : la vie d’une star du cinéma en cours de tournage, s’entremêle avec des souvenirs brûlants de sa vie affective. Stéphanie est une excellente actrice, pouvant jouer dans des registres divers, à la palette étendue. Elle est à même de défendre des textes encore plus exigeants – j’aimerais bien l’y voir.

Un très beau texte de Tchekhov : La Dame au petit chien, lu à la Maison de Jean Vilar par Muriel Mayette, l’Administratrice de la Comédie-Française m’a enchanté. Non seulement le texte est excellent mais la lecture a été faite avec du professionnalisme et de la classe.

J’ai assisté à une autre lecture de Tchekhov : des extraits de son Journal par Julie Brochen, un peu éparpillée, enjouée, mais les conditions d’’écoute ont été plus difficiles.

Tout est dans le texte ! Mais il s’agit de le bien choisir, de le décortiquer, savoir l’exploiter et de le porter à la scène… pour le bien du public.

LE CABESTAN - 11, rue du collège de la Croix
04 9086 1174
http://lecabestan.canalblog.com

Théâtre du Loup Blanc
PALATINE
Avec Marie Grudzinski
Adaptation- mise en scène de Jean-Claude Seguin
Tous les jours à 18h45

Compagnie Alexandre Berdat
LE CHEVAL ÉVANOUI
De Françoise Sagan
Avec Yves Jouffroy, Nicole Gros, Martha Mailfert, Jef Esperansa, Claudia Taïna, Ludovic Coquin, Julien Dodoz, Gérard Cheylus
Mise en scène d’Alexandre Berdat
Tous les jours à 15h10

LE PETIT LOUVRE - Salle Van Gogh - 23, rue Saint Agricol
04 3276 0279
http://le-petitlouvre.com

PORTRAITS SÉRIE / portraits cruels
De Dominique Hennegrave
Avec Dominique Charpentier
Tous les jours à 21h35

LA TACHE D’ENCRE - Salle du Rat - 1, rue de la Tarasque
04 9085 9713
la.tache.dencre@wanadoo.fr

LA POSTE POPULAIRE RUSSE
D’Oleg Bogaïev
Avec Zbyszek Rola
Adaptation-mise en scène de Guy Cambreleng
Tous les jours à 16h00

LE PETIT CHIEN - 16, rue Guillaume Puy
04 9085 8949
http://www.chienquifume.com

LE JEU DE LA MÉMOIRE
Texte et mise en scène par Gérard Vantaggioli
Avec Stéphanie Lanier
Tous les jours à 17h25

vendredi 2 juillet 2010

Mes découvertes

Jansem - Allégorie au vieillard, 1989
Huile sur toile - 130 x 162 cm

Je garde le souvenir de cette nuit au cours de laquelle les galeries étaient restées ouvertes pour accueillir le public. C’est, rue Matignon, un beau quartier, que j’ai été happée par les tableaux de Jansem, un peintre que j’y ai découvert.
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De format conséquent, ces tableaux m’ont fait penser à des scènes de théâtre : enchâssés dans des cadres, des personnages grotesques imaginés par l’artiste vivent pleinement leur vie. Ils sont souvent représentés en groupe. Leur visage, parfois grimaçant, exprime l’angoisse. Apparentés à la peinture d’Ensor, ces personnages, peints d’une manière réaliste, semblent être venus d’un monde fantastique. On y voit des Pierrot, des marionnettes, des danseuses, des militaires dans leur habit d’apparat, des gens qui participent à un carnaval.

Jansem présente l’Homme dans sa souffrance et dans sa condition humaine. Il a son style bien à lui. A la frontière entre la réalité et l’imaginaire, l’artiste porte une grande tendresse pour des êtres et pour la vie. La palette de ses couleurs est proche du pastel, les contours des silhouettes semblent dessinés à l’encre. L’artiste peint en faisant appel à plusieurs techniques.

Venu de Turquie, Jansem (Ohannes Semerdjian) a vu le jour en 1920, dans le quartier arménien de Seuleuze (Susurluk). C’est à Paris qu’il apprend à peindre, en fréquentant des cours du soir à Montparnasse, puis à l’Ecole des Arts Décoratifs. Désormais peintre renommé et reconnu dans le monde entier, Jansem est pour moi un artiste de grande envergure qui, par son art, sait émouvoir les gens par son approche humaniste.


Jansem, Le roi des borgnes, 1978
Huile sur toile - 114 x162 cm

Les oeuvres de Jansem sont exposées à la GALERIE MATIGNON
18, avenue Matignon - Paris 8e

vendredi 28 mai 2010

Pensée pour une Mère

Un livre en hommage à la mère m’a touchée.

L’auteur, Frédéric Brun, chemine à travers ses souvenirs et ses réflexions, accompagne sa mère en Pologne, à Olkusz, près de Cracovie où vivait jadis sa famille, puis à Auschwitz et en France. Il tente de comprendre et de reconstruire le vécu de sa mère, Perla. Elle a eu à subir la vie dans un camp nazi avec, pour séquelles, une dépression qui ne l’a pas quittée pendant des longues années.

"Perla, ma mère, par une belle journée de 1944, tenta de fuir une horde de SS qui la poursuivait. Une fois arrêtée, elle se retrouva entassée avec des femmes, des hommes et des enfants dans un wagon à bestiaux. A peine arrivée, elle se présenta devant cet homme nommé Mengele. Ce médecin élégant décidait en un instant du destin de milliers de gens. Il lui suffisait de tendre sa main dans une direction. A droite, c’était le four crématoire, à gauche, le droit de vivre, l’espoir.

Mengele la regarda rapidement. Après un examen express de la santé, le sort d’un prisonnier était réglé. Perla ne souffrait de rien, mais un petit bouton avait surgi sur son visage. Il hésita, tendit négligemment sa main vers la droite. Elle était belle. Il changea d’avis. Il y a tant d’indulgence pour la beauté. Il pointa son doigt vers la gauche."


S’émerveillant devant un tableau d’un romantique, puis d’écrits admirables de philosophes et écrivains allemands, Fréderic Brun se pose la question : "Comment ces mots, qui ont servi à exprimer une poésie magique et éternelle, ont pu devenir si rudes, si secs et si cruels ? […] Séparation cruelle, mondes parallèles ! Qu’y a-t-il à retenir de la Shoah ? Le diable est en l’homme, mais le bien, finalement, a-t-il triomphé du mal ? […] L’être humain est si complexe. Il peut être raffiné, cultivé et bestial en même temps. […] Comment l’humanité a-t-elle pu produire Auschwitz et Novalis ? J’ai beau retourner cette question dans tous les sens, je ne trouve pas de réponse. Personne ne peut y répondre."

En rendant l’hommage à sa mère, Fréderic Brun nous livre l’hymne à la vie et l’amour immense pour un être cher.

"Je garde sa photo sur papier glacé dans mon portefeuille. Le sourire angoissé de ses dernières années. Pourquoi faut-il toujours l’absence pour amplifier l’amour ?"…

Le style de la narration de ce livre révèle une grande sensibilité chez l’auteur et sa quête de rendre à sa mère un témoignage d’amour posthume est intense. J’imagine déjà une future lecture d’extraits de ce texte devant le public.

« Perla » de Frédéric Brun est paru chez Stock, dans la collection La Bleue, et a reçu le Goncourt du premier roman en 2007 – il a depuis été publié en Livre de Poche. Sont venus ensuite : « Le roman de Jean » puis « Une prière pour Nacha » (Prix 2010 des Écrivains croyants).

dimanche 9 mai 2010

14 mai : Qui êtes-vous Madame ?


Un des premiers billets de ce bloc-notes - celui du 30 septembre 2008 - était consacré
à ma lecture-spectacle de
QUI ÊTES-VOUS MADAME ?
en compagnie d'ANTOINETTE GUÉDY.


Nous récidivons
vendredi prochain 14 mai
au théâtre Jean-Marie Serreau
- Théâtre 14 -
à mi-chemin entre la Porte d'Orléans et la Porte de Vanves, à Paris
que dirige le talentueux Emmanuel Dechartre
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dans le cadre du festival du
Printemps de la Création théâtrale 2010 (Mairie de Paris-14°)


C'est à 19 heures.
Les portes s'ouvrent un quart d'heure avant le spectacle qui est gratuit.


Astrid Keller est une journaliste connue. Une femme se présente chez elle comme une amie de sa tante qui habite aux États-Unis. Leur conversation tourne sur le passé (la 2nde Guerre mondiale). Élisabeth Haenckel rapporte des faits qu’Astrid ignorait puis disparaît comme par enchantement, laissant son interlocutrice totalement perplexe ? Qu’y a-t-il de vrai ? Astrid n’est désormais plus sûre de rien, ni de son passé ni de sa propre identité.


Cette pièce est une
adaptation par LISBETH VIROL et JEANNE BERNAVA
de "KIM PANI JEST" d’ANDRZEJ NIEDOBA.
Elle a été diffusée à plusieurs reprises à la Télévision Polonaise
dans une interprétation
de KRYSTYNA JANDA et de MIROSŁAWA DUBRAWSKA
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vendredi 26 mars 2010

Lecture du Bal des folles

Voici bientôt un an - dans mon billet daté du 12 mai 2009 – je vous livrais quelques extraits de l’article sur le Bal des folles qui était organisé chaque année à la Salpetrière où elles étaient enfermées. Gabriela Zapolska y avait été invitée et en avait fait le sujet d'une de ses chroniques. Celle-ci est parue dans un journal de Varsovie, en avril 1892.

Depuis ce mois-ci et jusqu’à l’arrivée de l’été, le théâtre du Nord>Ouest présente plus de 30 pièces sur le thème de l’enfermement : Des prisons et des hommes.

C’est en compagnie d’Antoinette Guédy et de France Farnel que je participerai à une lecture de ce texte de Zapolska. A deux reprises : le lundi 5 avril puis le mardi 25 mai.

Le Bal des folles à la Salpetrière, de Gabriela Zapolska, traduit du polonais par Luna Virol et Arturo Nevill.


A l’initiative de Jean-Luc Jeener, le théâtre du Nord>Ouest est un lieu privilégié de la vie théâtrale : depuis plusieurs années, il y fait alterner l’intégrale des œuvres d’un auteur – ces mois derniers c’était August Strindberg, bientôt ce va être Eugène Labiche, puis une saison thématique – ainsi actuellement Des prisons et des hommes. Il est fréquent que des membres de la profession et des amoureux du théâtre prennent un abonnement pour pouvoir assister à autant de pièces qu’ils le souhaitent pendant une saison.

lundi 8 mars 2010

Jour de la Femme


"Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l’évolution de l’humanité dans son ensemble. Mais les femmes représentent une force considérable." C’est sur cette phrase que Gabriela Zapolska termine l'article qu'elle destine à un journal varsovien, sur le Congrès international des Femmes qui vient de se tenir à Paris en mai 1892.

Marquée et humiliée, suite à un mariage malheureux, Zapolska a voulu réaliser son rêve : faire du théâtre. En même temps, elle a découvert qu’elle aimait écrire. Ces deux passions l’accompagneront le long de sa vie. Très vite, elle comprend que, éphémère, le théâtre dépend de sa santé et des opportunités qui se présentent. L’écriture, se dit-elle, perdure dans le temps. "Les paroles s’envolent, les écrits restent." disent les sages. Ce que Zapolska traduit ainsi : "Lorsque je pense à George Sand, il me semble qu’elle n’est pas morte, qu’elle vit quelques rues plus loin, géniale et superbe. Et lorsque je pense à Rachel, je ne vois que ses ossements dans un cercueil."

L’écriture lui permet de s’exprimer et d’évoquer notamment le sort fait aux femmes. Dès ses premiers écrits, il est question de la condition qui est la leur au 19ème siècle. Vers la fin de sa vie, dans les années 1910, elle reviendra à des sujets personnels, qu’elle avait probablement dû taire. Elle réécrit ses nouvelles sous forme de pièces du théâtre : leurs héroïnes, "Kaska Kariatyda" (Catherine la Cariatide) ou "Malaszka", racontent la lente déchéance des femmes abusées et manipulées par des hommes, enfermées dans les traditions et dans le "qu’en dira-t-on" de la société.

Sensible à leurs souffrances, Zapolska décrit des situations "dont on ne veut même pas parler". Surnommée la "Zola polonaise" par la critique, avant même que d’avoir mis les pieds en France, elle raconte à vif, "d’une manière naturaliste", leur vie. Sans être véritablement militante, elle plaide en faveur des femmes et dépeint une société faite par les hommes et pour les hommes. Elle sera à côté des femmes pour les défendre – ce qui n’empêche pas, d’une plume aigüe et avec humour, d’en égratigner quelques unes. Et en ce qui concerne les hommes, elle "leur arrache leurs plumes de paon."

Née en 1857, Gabriela Zapolska a vécu pendant la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème. Elle est donc d’une génération postérieure à celle de Rachel et de George Sand. Ces deux personnalités ont vécu l’essentiel de leur vie en France – on peut noter néanmoins quelques passerelles avec la Pologne.
Comédienne de renom, la première meurt alors que Zapolska n’a pas encore un an. Rachel avait eu un second fils du comte Walewski – enfant naturel de Napoléon 1er et de Maria Walewska. Elle était venue jouer à Varsovie en 1854 où Jozefa Karska, mère de Zapolska avait été danseuse à l’Opéra.
Quant à George Sand – dont on sait les années passées avec Chopin – son décès correspond à l’année où Zapolska se marie – 1876.

dimanche 28 février 2010

Découvrir Antoine


La Bibliothèque nationale de France (BnF) prépare une exposition Qumrân, le secret de manuscrits de la Mer Morte. Ces manuscrits sont considérés parmi les plus importants au monde et constituent les traces les plus anciennes de textes religieux juifs connus à ce jour ayant donné naissance à la Bible. L’article paru dans les Chroniques de la BnF me fait penser à ces innombrables sujets qui attendent d’être remis sur selle et dont les historiens et chercheurs raffolent, pour faire de nouvelles découvertes.

J’ai ainsi appris qu’on ne connaissait pas très bien Antoine en Pologne ni le travail qu’il a entrepris dans son théâtre naturaliste, à la fin du XIXe siècle. « Antoine – mais c’est un employé du gaz qui a travaillé avec des amateurs » a-t-on souvent dit du côté de la Vistule… et parfois encore aujourd’hui. Par ailleurs, les recherches ont été en partie figées et orientées – on n’avait pas intérêt à s’écarter de la ligne tracée par les spécialistes d’histoire de l’époque. Même si ses œuvres ont été régulièrement jouées, l’œuvre de Gabriela Zapolska n’a pas été toujours bien comprise. Alors qu’elle avait travaillé avec Antoine dans son théâtre, son témoignage à cet égard n’a pas été pris au sérieux en Pologne – pendant de longues années, et parfois jusqu’à nos jours.

Dans une lettre de septembre 1909, Zapolska écrit à son mari Stanisław Janowski : « Que les Russes aient bien joué à [Kiev], ce n’est pas étonnant. Ce sont de merveilleux artistes et ce que tu as vu, c’est ce que tu aurais pu voir chez Antoine – car Stanislavski a fait un stage d' une demi-année chez Antoine. » (Lettres de Zapolska, tome II, PIW, Warszawa, 1970, recueil fait par Stefania Linowska – c’est bien ce qu’elle a écrit, il n’est pas facile de faire les recoupements nécessaires). Un autre metteur en scène polonais, Tadeusz Pawlikowski, a également séjourné à Paris à cette époque et s’est informé sur la méthode du jeu naturaliste chez Antoine. Il a accueilli Zapolska dans son théâtre à Cracovie, après le retour de celle-ci en Pologne. Elle a alors pu jouer dans un répertoire inspiré du Théâtre Libre, dans des pièces qu’elle a traduites elle-même.

Le récent ouvrage collectif d’historiens du théâtre publié chez L’Harmattan en 2007 : Le théâtre libre d’Antoine et les théâtres de recherche étrangers, sous la direction de Philippe Baron et avec la collaboration de Philippe Marcerou, retrace l’influence d’Antoine dans de nombreux pays : Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Danemark, Grèce, Hongrie, Japon, Pologne (où Gabriela Zapolska, notamment, a été un témoin direct), Portugal, Russie, Tchéquie. Des sociétés théâtrales fondées dans ces pays à l’image du Théâtre Libre se sont donné des noms similaires, certaines avec un nom calqué sur le français : La Freie Bühne de Berlin, l’Independent Theater de Londres, Scena Niezależna (la Scène Libre) – troupe fondée par Gabriela Zapolska, ainsi qu’une école dont des méthodes de travail ont été inspirées par sa formation pratique chez son professeur Talbot et chez Antoine.

Dans le Dictionnaire Encyclopédique du théâtre, publié sous la direction de Michel Corvin, chez Bordas en 1991, on considère André Antoine comme l’inventeur de la mise en scène moderne. Il a, de plus, été acteur, directeur du théâtre, metteur-en-scène et critique dramatique. On dit aussi de lui qu’il était un émule des théories de Zola sur la mise en scène.

Dans ce même ouvrage, Jean-Pierre Sarrazac précise qu’« Antoine entend donc reproduire fidèlement et exactement sur la scène un milieu social précis et inciter l’acteur à jouer le plus naturellement possible dans ce milieu reconstitué (et, au besoin, en tournant le dos au public) de façon que le personnage, conformément au déterminisme que véhicule le naturalisme, paraisse un produit, voire une excroissance de ce milieu. Comme Zola, Antoine considère que le décor doit occuper au théâtre la place même que les descriptions tiennent dans un roman réaliste ou naturaliste. Et, de façon à donner l’impression à ses spectateurs qu’ils sont en train d’observer une "tranche de vie", selon l’expression qui fait florès à l’époque, il règle ses mises en scène en tenant compte d’un "quatrième mur" invisible derrière lequel est censée se dérouler l’action dramatique. Au Théâtre Libre, puis au théâtre Antoine, à partir de 1897, Antoine entreprend de faire table rase des vieilles conventions scéniques telles que le jeu déclamatoire à l’avant-scène, les toiles peintes représentant toujours le même salon bourgeois, les accessoires peints sur le décor.

« [Les dialogues entre des personnages] doivent se faire au plus près du ton réel de la conversation, le décor doit être conforme à l’époque, le milieu, et les accessoires doivent être vrais. […] Les mises en scène du théâtre Libre procèdent, comme celles de Stanislavski, l’homologue russe d’Antoine, d’une véritable reconstruction artistique du réel. »


Lorsque Zapolska décrit une leçon chez Antoine (voir dans ce bloc-notes, les billets des 7 juillet et 13 septembre 2009), elle s’exclame : « la simplicité, la simplicité, c’est le mot clé ici ».
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Illustration - André Antoine et une affiche par Paul Sérusier (peintre Nabi, compagnon de Zapolska) pour le Théâtre Libre de la pièce de Gerhart Hauptmann : L'Assomption de Hannele Mattern, dans laquelle Gabriela Zapolska a tenu deux rôles, celui de la Mère défunte (en bleu à gauche) et de la Diaconesse (en haut).

lundi 22 février 2010

Océans


Monstres marins au fond de l’onde. Tigres dans les forêts. Alouettes aux champs.
Jean de La Fontaine

Tout à coup, l’immensité de l’océan s’est ouverte devant moi à la projection du film de Jacques Perrin et m’a submergée de joie. De voir toutes ces créatures, jusque là cachées à nos yeux, certaines semblables à nous, les humains, et d’autres à des animaux domestiques – et qui vivent au tréfonds de notre planète, m’a profondément émue. Pour moi, ce film est mystique. Il est fait d’admiration devant la Création, devant la fantaisie de la Nature, devant son humour. Il est fait des silences et d’images merveilleusement belles. De la cruauté aussi. Mais avant tout, on y sent de l’amour pour ces êtres étranges, difformes, si dissemblables entre elles, mais qui vivent selon des lois immuables de la vie, marquées par la tendresse, l’amour maternel, la survie, la prédation. Cette vie, filmée sous l’océan, nous a été offerte pour la première fois avec une telle intensité et vérité. Le film est fait pour faire réfléchir à propos de notre attitude destructrice envers la vie sous toutes ses formes, envers nous-mêmes. Une belle musique s’accorde avec des images.

Un petit garçon observe, dans un musée, ces espèces capturées, tuées, naturalisées. Certaines d’entre elles ont disparu à jamais…

jeudi 7 janvier 2010

Dysonans


Et voici une photo d’une autre lecture. Cette fois-ci, c’est en polonais : nous sommes, mon partenaire Łukasz Musiał et moi, à la Galerie Art Montparnasse. Nous lisons des extraits du livre d’Ewa Stachniak, Dysonans, qui décrit la vie de l’aristocratie polonaise qui avait émigré à l’étranger vers le milieu du XIXe siècle.

Le récit dessine la vie de personnages connus et célèbres : Frédéric Chopin, Delphine Potocka, le comte Zygmunt Krasiński, Elisa Branicka.

En s’appuyant sur des documents de cette époque romantique et sur la correspondance de Zygmunt Krasiński à Delphine Potocka, Ewa Stachniak a su recréer une atmosphère et, avec sensibilité et émotion, elle accompagne ses héros dans les capitales européennes – à Paris, en Italie et en Pologne.

La vie du héros principal, Zygmunt Krasiński, dramaturge et poète polonais, auteur de pièces comme Nieboska Komedia (La Comédie Non-divine) et Iridion, se déroule en présence de la belle comtesse Delphine Potocka née Komar, et Elisa née Branicka, son épouse. En 1845, à Nice, sur les collines de Cimiez où ils sont en voisinage, les deux femmes, des personnalités exceptionnelles, aiment le même homme. Par ailleurs, leurs aspirations et leurs intérêts leur font chercher autre chose que ce qu’elles connaissent dans les salons qu’elles fréquentent.

Née à Wrocław, Ewa Stachniak vit et écrit désormais à Toronto, au Canada. Ses premiers écrits sont parus dans des journaux canadiens – en anglais. En 2000, elle écrit Les Mensonges nécessaires (Konieczne kłamstwa), livre autobiographique, primé comme meilleur premier livre de l’année. Son deuxième livre, Le Jardin de Vénus, (Ogród Afrodyty), décrit la vie mouvementée au XVIIIe siècle de Zofia Potocka, une très belle femme – dite la Belle Phanariote – originaire d’Istanbul et qui est devenue épouse du comte Feliks Potocki.

Les œuvres d’Ewa Stachniak ont été publiées au Canada, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande, en Grèce, en Espagne, en Italie, au Brésil, en Serbie et en Ukraine.

Dysonans est donc son troisième ouvrage. Sa promotion a également eu lieu à Varsovie. Des extraits y ont été lus par une comédienne très appréciée, Zofia Kucówna.