samedi 18 juillet 2009

L'Exposition Universelle

La première fois que j’ai vu l’Exposition Universelle et la Tour Eiffel, c’était dans la soirée. Les Français appellent l’Exposition Le Pays de Fées et ils ont raison. En regardant cet espace immense débordant de merveilles de la science, de l’industrie, du travail, de l’art et du génie, on voudrait rencontrer ces fées qui ont produit tant de merveilles ! De Fées ? Pas la moindre trace. Ceux qui ont produit tout cela, on peut les compter par milliers, tellement modestes et si petits devant leurs œuvres.

De cette fourmilière inondée de lumière, émerge – vers les hauteurs – une merveille, comme de la dentelle et des lampes assemblées. Des dentelles puissantes et extraordinaires qui bouleversent l’âme endormie et l’entraînent avec cette audace insolente par laquelle elle s’élance vers le ciel. C’est la Tour Eiffel. C’est en vain que, sur l’
Esplanade, des faisceaux lumineux s’entrecroisent, en vain que le Pavillon d’Argentine, pareil à un palais enchanté, scintille de lumières pourpres, bleues ou vertes. En vain que, sur le Pavillon du Gaz, un génie fait jaillir de la paume de sa main un jet du feu ! En vain que des jets de couleur lilas ou saphir font que la Galerie centrale baigne dans des écumes. En vain que la Galerie des machines, telle un serpent, allonge son corps flamboyant. Tous ces feux, toutes ces lueurs pâlissent à côté de la Tour…

Ah ! Quelle foule, diverse, de toutes les races, parlant toutes les langues, multicolore ! Lorsque tombe le crépuscule, la foule se déverse par les portes comme une large rivière, recouvre l’Esplanade, l’allée de La Bourdonnais, le pont d’Iéna, l’avenue Rapp, la rue du Caire. Elle court, crie, s’amuse, se bouscule, inonde les bazars orientaux, les restaurants, les cafés, les gazons.

Les gens grimpent les escaliers du pavillon du
Globe terrestre, engloutissent des milliers de tasses de thé indien qui fait transpirer quiconque s’en abreuve. Ils se font arnaquer dans des restaurants où la portion de bouillon coûte 1 franc et où il faut payer séparément pour le couvert, la nappe et une assiette. D’autres personnes sont plus économes. Elles achètent de grands pains, sortent de leurs poches gâteaux, viandes et bouteilles de vin, s’assoient sur les gazons à même le sol, ou bien sur les machines qui sont exposées en plein air.

On mange ici beaucoup et en permanence. On mange dans des ascenseurs de la Tour Eiffel, dans la Salle des machines, devant ces joyaux qui valent des millions, sous les lumières chatoyantes de l’électricité ! On mange partout et encore ! On voit ainsi des dames qui achètent des sandwiches, des tartines, des galettes. On en voit qui boivent du lait, de l’orangeade servie par des garçons noirs, et d’autres qui boivent des
bocks, servis par des Indiens. Il semble que l’unique souci qui anime les Français soit de bien manger !

En ce qui concerne la manière de s’habiller… Mon Dieu ! Le chic ? C’est un mot inconnu ici ! Les dames qui rodent autour de la Tour Eiffel sont rousses et fardées comme des poupées empaillées. Elles portent des mitaines, n’ont aucun charme et se tiennent les mains sur les hanches ! O, gracieuses Varsoviennes ! Si votre mari vous dit incidemment, en buvant son café le matin : Tu sais, ma Chérie, je vais à Paris. C’est pour voir… la Tour Eiffel ! - Souriez seulement, de ce sourire voluptueux qui est le vôtre et, en arrangeant les dentelles de votre négligé du matin, répondez lui : Bien sûr, mon Chéri… va la voir… la Tour Eiffel. Je t’attendrai ici . Vous pouvez l’attendre sans crainte. Les chignons roux des dames d’ici vont faire que votre ingrat de mari reviendra vers vous avec multitude des flacons d’essence de rose, de nombreux bracelets d’Égypte, des éventails en plumes avec des franges dorées, et les plus belles broderies, ainsi que des haches plus ou moins rouillées, pour parer les murs de votre appartement…

La clôture de l’Exposition

Je suis allée avec mes voisins – Mme Nini, son mari et moi – à la clôture de l’Exposition Universelle. Après le déjeuner, où nous avons englouti une masse de Roquefort, du Brie, du Petit Gervais, des poires, des raisins, des noix, des petits-fours, des pommes vanillées, des confitures, après avoir bu quelques tasses d'un café noir arrosé copieusement de ma fine, Madame Nini a enfin décidé : Il est temps de partir.

J’ai soufflé. Le temps passait, et nous étions toujours devant cette table en mangeant et en mangeant sans cesse. Selon le programme, nous devions passer une journée entière à l’Exposition. J’étais sûre qu’au plus tard dans une heure je serais au Trocadéro ou au Champ de Mars. Illusion ! J’ai oublié que les Français aiment bien manger et longtemps. Le crépuscule était tombé lorsque nous nous levions de table.

Il était temps de partir. Mais Monsieur était d’un autre avis. En engloutissant encore une tasse de café, une livre de raisins, il s’est mis à faire des provisions pour cette excursion. Donc, une bouteille plate de
Cognac, 4 poignées de noix et une livre de fruits confits. Il voulait encore emmener la tarte Courcelles et une bouteille de la Chartreuse, mais Madame Nini a émis une réserve : Il vaut mieux que tu prennes ça – a-t-elle dit, en mettant dans la poche du vêtement de son mari une douzaine de figues : Elles vont me rafraîchir lorsque je serai éreintée.

En épinglant sur nos vestes des gerbes de violettes, elle a conclu que nous sommes très bien et en secouant un grand manchon, elle a ouvert la parade en disant à son mari : Tu sais, mon chat, lorsque nous serons arrivés sur place, nous nous arrêterons dans un restaurant car je sens qu’il me manque quelque chose… Ciel !

En sortant dans la rue, nous avons eu un avant-goût des festivités nocturnes. Les cochers, de la hauteur de leurs sièges pestaient, se croyant tout puissants. Devant les arrêts des autobus, les foules grouillaient en attendant qu’on appelle le numéro qu’ils avaient pris au guichet. Les petits omnibus passaient lentement remplis de passagers, et les conducteurs criaient avec un accent caractéristique : A l’Exposition – porte Rrraapp… cinquante centimes.

Monsieur, de pur sang parisien se sentait dans son univers. Il sautait, courait d’un cocher à l’autre en leur montrant une pièce de 5 francs. Enfin, un cocher nous a acceptés dans son fiacre : Mais vous savez, mon bourgeois – a-t-il dit, en se penchant de son siège : C’est cent sous ! Nous sommes partis.

De deux côtés des boulevards, des colonnes noires de gens avançaient rapidement dans la direction de l’Exposition. Des milliers de fiacres, de voitures, des omnibus serrés, occupaient le milieu de la rue. Par moments la circulation était entravée. Les agents de police, à la voix enrouée, fatiguée, s’affairaient entre des chevaux en essayant d’imposer un ordre. Les injures des cochers, le hennissement des chevaux, le rire des passagers faisaient un chaos indescriptible.

Une lueur couleur sang couvrait le ciel du côté de Trocadéro. Nous avons acheté 15 tickets à trois sous pièce et nous avons fait la queue devant l’entrée de Trocadéro. Le temps était splendide, le ciel pur, l’air – bien que frais, était sec. Nous avons vite couru dans la direction du Palais.

Comment pourrais-je vous présenter ce torrent mouvant dans lequel baignent en ce moment le Palais de Trocadéro et le Champ de Mars ? Tous les rebords du Palais, des fenêtres, des balcons, des balustrades, des ornements… sont soulignés par un fil lumineux. Des bouquets de lumière colorée scintillent comme des fleurs mystiques. Les immenses ailes du palais tracent des demi-cercles dorés. Tout flambe, brûle, tremble sous le souffle du vent. Dans la Seine, se réfléchissent les lumières qui se balancent sur le pont des bateaux qui s’y trouvent en grand nombre. Celles des restaurants sur l’eau sont rouges ; les bateaux près du Louvre sont parés de guirlandes vertes et de lampions aux lueurs dorées.

Sous la Tour Eiffel, la masse noire des gens bouge, crie et fait du bruit. Dans un kiosque, un orchestre joue un ancien air de polka. La foule commence à s’agiter. Les hommes sifflent, les femmes fredonnent. Soudain, des coups de canon ébranlent l’air. On dirait que la Tour Eiffel se met à brûler ! Toute entière ! Monstre flamboyant attisé par des diables, elle se consume en des couleurs pourpres. On distingue les lignes noires de l’échafaudage en fer et des poutrelles. Vue magique à vous couper le souffle. Des buissons alentour, jaillissent des lueurs rougeoyantes. Les fontaines prennent une couleur sang et déversent une pluie de rubis. Le vent agite les lampions accrochés aux arbres. Devant la statue de la République à laquelle la lueur des flammes semble imprimer un tremblement, la foule s’écrie : Vive la République !

(D'après des traductions-adaptations de Lisbeth Virol & Arturo Nevill)
-
A L'ENTREPÔT, 7/9 rue Francis de Pressensé
dans le 14ème (métro Pernety ou Plaisance),
le 1er septembre à 19 heures 15 :
Lecture de textes de Zapolska sur Paris
(entrée libre - durée d'environ 1 heure)

Aucun commentaire: