dimanche 29 mars 2009

Dépouillement et plénitude


Non, je ne veux pas parler du printemps ni des fleurs qui s’ouvrent à peine, ni du temps qui panache la pluie et le soleil froid. La neige est encore présente là-bas, en Pologne. Ici, en France, le temps est morose et pluvieux aux approches de Pâques. Je voudrais parler du dépouillement et de la solitude, du plein et du vide.

Connaissez-vous le beau film coréen : Le printemps, l’été, l’automne, l’hiver et le printemps…, de Kim Ki-Duk ? Les saisons évoquées, font le lien et la comparaison avec les saisons de notre vie humaine. La beauté d’un seul et unique lieu de l’action du film, d’un petit monastère éloigné du monde - au milieu d’une île - entouré des eaux et des montagnes, sert lieu d’une action, qui se passe au cours de saisons. Dans ce microcosme vit un vieux moine qui accueille et élève un petit enfant, abandonné par sa mère. L’enfant évolue, s’éveille, apprend à connaître le monde. Curieux de tout, il s’empare des petits êtres vivants dans l’eau : d’une grenouille et d’un petit poisson. Il les capte, les emprisonne et provoque leur mort. Sa nature le tend vers la cruauté. Devenu adolescent, il choisit son propre chemin, abandonne son destin de moine, rencontre une femme, se lie avec elle. Trompé, il la tue. Il cherche à réparer ses fautes - il redeviendra moine. La nature, toujours présente et immobile, change d’aspect au cours de saisons, et l’homme, qui déroge son destin, va à sa perte. Rien, dans ce film, aucun acte, que choisit le jeune homme, n’est sans conséquences dramatiques. Un jeune garçon, abandonné par sa mère au monastère, suivra à son tour le même destin humain.

Ce dépouillement d’une nature majestueuse, le peu de mots utilisés, la symbolique du film – coréen – qui cherche à s’interroger sur la destinée humaine, me font penser à ces tableaux de maîtres chinois, décrits dans un petit livre, que j’aime bien. Selon eux, l’art pictural révèle le mystère de l’univers. La philosophie qui en découle, propose «des conceptions de la cosmologie, de la destinée humaine et du rapport entre l’homme et l’univers». Ce n’est pas sans raison que «la peinture elle-même est considérée comme une pratique sacrée et est une véritable mystique». Les peintres Chinois grâce au procédé du plein et du vide, du rapport entre «Pinceau-Encre, Montagne-Eau, Homme-Ciel, créent une symbiose du Temps et de l’Espace et par là - de l’Homme et de L’Univers. A ce degré, le Vide, en même temps qu’il en est le fondement, transcende l’univers pictural en le portant vers l’unité originelle». (François Cheng – Vide et plein Editions du Seuil).

dimanche 15 mars 2009

La neige

Avant que les neiges ne fondent complètement dans les montagnes, et avant l’arrivée du printemps pour de bon, il faut que je vous dise ce qu’est, pour une Polonaise, de ne pas pouvoir se réjouir de la neige à Paris.

Une nostalgie me saisit lorsque mes amis et la famille me racontent depuis Varsovie que de lourds flocons de neige défilent devant leurs fenêtres, se posent lentement et enveloppent de silence les alentours. Paysage idéal pour le recueillement, la réflexion et l’enchantement.

La neige commence à tomber en Pologne au début de novembre, après la Fête de Tous les Saints. Elle réapparaît à plusieurs reprises parfois jusqu’au mois d’avril. La blancheur immaculée qui couvre les champs, les parcs, les rues, pousse les gens à rester chez eux, à la maison. Mais les Fêtes de Noël, de la Saint Sylvestre et du Jour de L’An, puis du carnaval jusqu’au Mardi-Gras, à la Saint Valentin enfin, sont l’occasion de festoyer, de se divertir, de se réunir en famille et entre les amis. Plus la neige persiste, plus les gens ont envie de s’inviter les uns chez les autres.

En Pologne, manquer les bals de Saint Sylvestre, puis ceux de la période du carnaval… ne pas se parer, s’habiller ni danser… est un sacrilège impardonnable. Imaginez une Polonaise à Paris ! Pas de neige, pas de danse, pas d’agitation affairée des gens pendant cette vie hivernale et absence d'un contrepoids à l’austérité, grâce à ces Fêtes, qui sont ainsi l’occasion de s’amuser ou de préparer des plats très caloriques, comme les pączki (ce sont les boules faites de pâte à gâteau, remplies de confitures), ou les faworki (que l’on mange le Mardi-Gras)… à déguster avec les convives.

A Paris – la vie est tiède.

Pourtant la neige tombe à Paris aussi – de temps en temps ! Mais tout fond en un clin d’œil. La magie ne dure qu’un moment, comme dans la célèbre chanson sur l’amour… Que faire donc ? Moi qui n’aime pas skier ni aller aux sports d’hiver dans des Alpes ou le Jura, j’aime en revanche le silence de la neige, sa gravité et son immobilisme. Même au 19ème siècle, dès que de la neige tombe à Paris, c’est un événement ! Voici ce que nous en dit Gabriela Zapolska :

Oh ! La neige ! – C’est ma première neige à Paris. En se penchant, Hortense, ma bonne, s’est écriée : « Quelle neige ! » Elle ne comprend rien ! Ah ! Ces Français ! Moi, ça me fait revivre ! Je vais mettre des bottines et, à petit pas, je vais aller au musée de l’Opéra. La neige va se poser sur le bout de mon nez. La neige continue de tomber et tout devient plus blanc. Je m’imagine que je suis à nouveau dans mon pays. Je préfère cette illusion à la réalité.

(…) La neige ! La neige ! Des bandes de voyous, en chemises de mariniers et portant des pantalons déchirés, courent le long des boulevards en poussant des cris, à qui hurlera le plus fort. Les milliards de flocons de neige les poursuivent en nuées qui s’éparpillent et virevoltent, s’accrochant à leurs casquettes trouées, à leurs mains rougies, à leurs visages blêmes, marqués par la misère et la débauche. (…) Dans ce qui subsiste de la clarté du jour, des lampes électriques commencent à émettre leur lumière bleu argent. Elles brillent là-haut, comme de blancs soleils que l’on aurait voilés de mousseline et que l’on aurait tout à coup suspendus au- dessus du brouhaha des boulevards. (…)

Arrivez-vous à me comprendre, maintenant ?

jeudi 5 mars 2009

A propos des femmes



Dans quelques jours, le 8 mars, la Fête de la Femme. Moi aussi, je vais acheter une rose blanche - à l'appel médiatique d'un groupe de femmes souriantes sur un plateau de télévision. L'argent récolté permettra à d'autres femmes, aux moyens faibles, de s'instruire. Vaste programme qui ne date pas d'hier, loin s'en faut - et ce n'est qu'une goutte d'eau.

"L'élément féminin adoucit les mœurs dans le monde" - lance un journal polonais, publié à Paris...

Mon double regard décèle une différence entre le statut de la femme en France et en Pologne. Dans le passé, lors des partages de la Pologne, les femmes polonaises ont eu à défendre la langue de leur pays, et leur famille. Elles ont été obligées de remplacer les hommes lorsque ceux-ci étaient obligés de partir. Le modèle de vie de la femme polonaise lui a néanmoins permis de défendre sa position professionnelle au cours de ces périodes difficiles, et à assumer amplement sa féminité, sans pour autant d'être considérée comme femme futile, voire de mauvaise vie.

Depuis longtemps déjà (dès l’indépendance de la Pologne après la 1ère Guerre mondiale), elle est juridiquement l’égale de l'homme. Certes, lorsque Napoléon est passé en Pologne, il a laissé sa marque : le Code Civil. Mais quand même… ce qui m'a frappé à l'époque où je suis arrivée en France - dans des années 70 – ce fut de voir les femmes obligées de faire la révolution pour se faire entendre. C'était le manque d'espace pour leurs ambitions qui m'a le plus étonné : j'ai rencontré plusieurs jeunes femmes dont le but était de devenir secrétaire dans un bureau.

Et jusqu'au début de ces mêmes années 70, il était impensable de remettre en cause une paternité usurpée par le chef de famille ! L'enfant né dans un foyer non dissout juridiquement - recevait automatiquement la filiation et le patronyme du mari légal. Et si la femme avait la mauvaise idée d'avouer ouvertement que l'enfant était d'un autre homme (situation qui se produit parait-il fréquemment en France), et qu’elle voulait divorcer avec pour perspective de régulariser la situation de l'enfant, elle devait craindre – au risque de se faire accuser d'adultère - de se faire enlever son propre enfant, si le faux-père le réclamait ! Elle n'avait pas droit à la parole, elle était indigne ! C’est le Code Napoléon que l’on appliquait ainsi scrupuleusement !

Remontons au 19ème siècle. En mai 1892, s’est tenu un Congrès international des Femmes, à Paris, dans des bâtiments de l'actuelle Mairie du 6ème arrondissement. Zapolska en rend compte pour des journaux polonais :


"Mais voici qu'on entend beaucoup de bruit et qu'un cri retentit. Il s'agit de la recherche en paternité - question soulevée à la tribune et qui provoque un ouragan de protestation de la part de quelques hommes [et] malgré les signes de désapprobation venant de toutes les femmes. Les hommes qui prennent passionnément part à ce débat ont envahi l'estrade. Avec brutalité et avec cette force qui se manifeste de façon si admirable, dès lors qu'il s'git de défendre leurs droits, ils justifient leurs comportements de Don Juan qui ne sont pas sanctionnés, et leurs passades, d'un seul jour parfois. Après quoi il ne leur reste... qu'un souvenir (!) - chose d'une poésie ineffable, alors qu'aux femmes il ne reste souvent que les larmes, le désespoir, la maladie, la misère et... l'enfant !"
[...]
"Prostitution et recherche en paternité, tels ont été deux temps forts de ce congrès. On y a, par ailleurs, protesté contre les guerres et, dans son discours, Monsieur Richer a souligné l'attitude pacifique des femmes. On s'est aussi occupé d'analyser très sérieusement le problème de l'inégalité de salaires que les femmes reçoivent pour leur travail, par comparaison avec celui des hommes [...] On a voté pour que plus de crèches soient ouvertes, afin de faciliter l'éducation des enfants par leur mère."
[...]
"Comme nous le voyons, ce congrès avait pour objectif d'améliorer effectivement le sort des femmes. Il va de soi que l'on n'y est pas totalement arrivé. Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l'évolution de l'humanité dans son ensemble."
[...]
C'était donc à la fin du 19ème siècle...
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