lundi 20 octobre 2008

Parole et accent

Quelle autonomie de posséder la langue du pays dans lequel on vit ! Quel confort ! Souvent les gens du pays ne se rendent pas compte ce qu'est pour un étranger d'articuler correctement leur langue. Que de souffrances, que de quêtes d'impossible ! Dans le cas de quelqu'un qui parle une langue slave, on n'imagine pas ce qu'il doit endurer pour, avec sa bouche, arriver à produire des sons et des syllabes qui ressemblent à du français. Je connais moult de mes compatriotes qui, de ce fait, vivent à Paris avec un handicap évident - certains ont même été amenés à renoncer à cette exigence de mieux parler.

Quand, à mes débuts en France, j'ai dit à Monsieur Maurice Chevit, un grand comédien, que j'avais remarqué que les femmes françaises d'un certain âge avaient des rides placées autour de leur bouche en cul de poule - alors que les femmes d'origine slave avaient des rides horizontales - il a beaucoup ri. Toute leur vie durant, ces muscles chez les deux groupes de femmes n'ont pas été utilisés de la même façon !

Mon apprentissage de la langue française a pris plusieurs années. A l'Alliance Française, en fin de parcours, j'ai rencontré Madame Launay qui enseignait la prononciation aux étudiants avancés du cinquième degré. Elle m'a donné des cours chez elle, en disséquant des syllabes. Ce fut ensuite Paule Vaneck ! Elle m'a abaissé le timbre de la voix avec des exercices du Piccolo Teatro di Milano. Puis vint un long travail d'apprentissage sur le théâtre français, chez Monsieur Jean-Laurent Cochet. Sans oublier les amis et ma famille qui m'ont progressivement prendre conscience de mes mauvaises habitudes linguistiques.

Remontons à nouveau dans le temps... Au Théâtre de la Ville où M. Chevit m'avait présentée, j'ai décroché un travail de placeuse des spectateurs. Situation peu reluisante, en particulier quand quelqu'un qui me connaissait de Varsovie m'y voyait placer des gens plutôt que d'être sur la scène. Mais, le directeur a jugé que je ne pouvais même pas être figurante dans Le Chapeau de Paille" de Labiche ! Je devais me contenter de gagner ma vie en regardant, depuis les coulisses, chanter Mouloudji, danser Carolyn Carlson, jouer Anny Duperey dans La Guerre de Troie" de Giraudoux.

Une langue slave possède des sons qui couvrent un large spectre. Ce qui fait que ceux qui l'ont comme langue maternelle peuvent reproduire facilement les sons d'autres langues. Les Slaves, ils sont doués pour les langues disent les Français. D'accord. Mais l'accent ? Joue comme Elvire Popesco - m'a t'on dit - une partie de son succès est dû à son accent. Mais Popesco était Roumaine ! Ce qui change beaucoup de choses ! La différence est que sa langue d'origine est fortement imprégnée de consonances romanes !

Comment articuler le talent scénique, ingrédient indispensable au dire des connaisseurs en matière de théâtre et ce sacré accent qui sort comme le diable d'une boite, comme le disait Gabriela Zapolska - surtout lorsque le débit se doit d'être rapide, dans une scène véhémente ? Comment savoir si le son e dont la langue française recèle un nombre considérable dans ses formes plus ou moins accentuées - ou le o - doivent se prononcer de façon ouverte ou fermée ? La parole du texte doit couler comme une large rivière et la pensée aussi, même si elle semble suivre un autre courant, tout en maîtrisant le mouvement du corps, les situations de la scène, en donnant l'apparence de la facilité, mais avec quelle rigueur !

Les spectateurs ne se rendent pas forcément compte ce que c'est que de jouer en français pour un étranger ! Et si certains disent aujourd'hui que l'accent, on s'en fiche, on y reste le plus souvent bigrement sensible ! Et si on remonte un peu dans le temps... les rigoristes ne pardonnaient pas le moindre accroc.
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