mardi 6 janvier 2009

Peinture, images

Accoudée à une fenêtre qui, du premier étage, donne sur la rue Joseph Bara, je regarde les gens qui passent. Mais il me faut bientôt quitter mon poste d'observation car je dois aller voir, un peu plus haut dans l'immeuble, une dame déjà âgée mais toujours très belle et aux yeux magnifiques : Xenia, femme du peintre Jean Pougny, peintre russe d'une famille d'origine italienne. Elle habite dans un grand appartement-atelier qui, depuis la mort de son mari, est devenu une sorte de musée. Avant-gardiste, Pougny peignait notamment des footballeurs, des gens sur la plage... Dans cette pièce, il y a des poupées grandeur nature - les modèles du peintre. Divers objets sont éparpillés sur des tablettes. Ils servaient à peindre des natures mortes. Beaucoup de tableaux et de lithographies, des tapis aussi... Xenia me confie qu'un des romans écrits par Elsa Triolet a été inspiré par une liaison qu'elle avait eue avec son mari
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Je suis depuis peu à Paris. D'autres artistes peintres vont faire partie de mon nouveau milieu - un groupe d'Ukrainiens et de Russes, qui s'est installé à Montparnasse. Je commence à parler avec eux le russe, dont je ne connais que ce que j'ai appris à l'école. Je fais ainsi connaissance de Kikoïne, Lubicz, Zadkine, Sonia Delaunay. Kikoïne me demande de poser pour lui. Il m'invite dans son atelier, rue Brézin, et m'habille d'une robe écarlate. Sur mes genoux, il pose un faisan aux plumes éclatantes. Tout en peignant, il me parle et il touche souvent mon bras, pour que je ne m'endorme pas. C'est très long et ennuyeux. Mais je gagne ainsi ma vie. Je ne suis pas le modèle habituel de l'artiste. Il fait un tableau très beau, qu'il vendra, me dira-t-il, au Maire de Toulouse pour dix mille francs ! J'aurai bien aimé le retrouver ! Un autre peintre, Lubicz, me peint en fille du cirque en chemisette rose courte.
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Je découvre à Paris un autre monde que celui que je connais bien ; c'est le monde de la création solitaire, et non collective comme au théâtre. L'art pictural fait pourtant partie de mon environnement depuis longtemps. Il avait été un support d'imagination pour un de mes rôles : j'ai ainsi longtemps regardé des tableaux représentant la Vierge de l'Annonciation que je devais incarner. Autre source d'inspiration pour moi : la vie. Long travail d'artisanat...
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Pour ce qui est de la création picturale - mon abord est plus confus. Je m'amuse, certes, à dessiner et peindre en amateur - ce n'est qu'une passion pour la beauté de la nature morte ou les formes d'un objet qui me pousse à vouloir figer l'instant. Un artiste peintre de talent a son univers bien à lui, son style établi et profond. Il capte le regard de ceux qui y sont sensibles.
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Mais comment savoir si mérite le nom d'artiste celui qui se cherche éternellement sans trouver son style propre ? Qui copie de grands peintres, faute de trouver un sujet intéressant ? Qui donne dans l'abstrait et demande aux amis de se prononcer, observe leurs moindres réactions avant de retoucher son tableau, ou leur présente - pour voir - ce dernier à l'envers ? Qui s'y croit et, sans y mettre d'âme, s'impose aux autres à l'aide d'une technique ? - Art, la fameuse pièce de Yasmina Reza, évoque ce problème.
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Et Gabriela Zapolska ? Que disait-elle à ce propos ?
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On peut accrocher des tableaux aux murs, mais... ce ne sont que des lucarnes, de petites portes sur l'art. Ces lambeaux, sur lesquels on a photographié un bout de forêt ou représenté un groupe comme des poupées aux mouvements figés, et disposées pour des siècles dans des attitudes qu'il n'est possible de tenir qu'un instant. [...] Sur leurs ailes, les génies portent le monde vers la lumière et aucune camisole n'en a entravé des ailes ! Les ailes de Van Gogh nous ont livré plusieurs dizaines de toiles où il ne s'agit pas d'une imitation parfaite de la nature mais où nous devinons, en les regardant, comment lui, Van Gogh, voyait la nature.
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Peut-on être Van Gogh? Peut-on être Chagall ? Ce n'est pas donné à tout le monde.
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Illustration : Paysage, par Michel Kikoïne
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