samedi 15 novembre 2008

Master Class

Une actrice de la Comédie Française dont j'apprécie particulièrement le jugement, m'a dit : Allez voir Marie Laforêt dans Master Class - c'est un spectacle admirable. C'est au Théâtre de Paris. J'y suis allée avec une amie pianiste, musicienne.

J'en suis sortie à minuit, enchantée. Marie Laforêt, la fille aux yeux verts que je connaissais comme actrice de cinéma et par ses chansons, est ici, seule (ou presque) sur une scène nue, aux murs noirs, quasiment sans décor.

Tout en incarnant la Diva - Maria Callas - elle nous y fait une leçon d'art théâtral et l'art vocal en direct. En guise d'illustration, cette leçon, elle la donne à trois élèves aux profils différents - et en même temps elle est Maria Callas, l'unique, la grande actrice-et-chanteuse.

En tant qu'actrice et chanteuse, Marie Laforêt évolue sur les sommets. Elle est sublime. Sur la scène, elle parle pourtant d'une façon quotidienne, normale, mais elle se livre, elle livre en même temps au public cette quête vers l'art, difficile, exigeante, touchant à des profondeurs venant de ses tripes, en les mettant à jour pour enfin les projeter sous une forme aboutie, pensée, ressentie, et toujours au service du texte.

Fidèle et consciente du poids d'interprétation, elle va au bout de l'accomplissement de personnages qui, ici, sont doubles : il y a ceux de l'Opéra - Médée ou Norma dont on nous donne des interprétations par Maria Callas, et celui de la personnalité de Maria Callas elle-même. A entendre les extraits des arias avec la voix de Maria Callas, je sens toujours, en l'écoutant, la même émotion qui m'élève dans l'admiration et l'extase.

Marie Laforêt a réussi un exploit immense. Elle mérite le Molière.
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lundi 20 octobre 2008

Parole et accent

Quelle autonomie de posséder la langue du pays dans lequel on vit ! Quel confort ! Souvent les gens du pays ne se rendent pas compte ce qu'est pour un étranger d'articuler correctement leur langue. Que de souffrances, que de quêtes d'impossible ! Dans le cas de quelqu'un qui parle une langue slave, on n'imagine pas ce qu'il doit endurer pour, avec sa bouche, arriver à produire des sons et des syllabes qui ressemblent à du français. Je connais moult de mes compatriotes qui, de ce fait, vivent à Paris avec un handicap évident - certains ont même été amenés à renoncer à cette exigence de mieux parler.

Quand, à mes débuts en France, j'ai dit à Monsieur Maurice Chevit, un grand comédien, que j'avais remarqué que les femmes françaises d'un certain âge avaient des rides placées autour de leur bouche en cul de poule - alors que les femmes d'origine slave avaient des rides horizontales - il a beaucoup ri. Toute leur vie durant, ces muscles chez les deux groupes de femmes n'ont pas été utilisés de la même façon !

Mon apprentissage de la langue française a pris plusieurs années. A l'Alliance Française, en fin de parcours, j'ai rencontré Madame Launay qui enseignait la prononciation aux étudiants avancés du cinquième degré. Elle m'a donné des cours chez elle, en disséquant des syllabes. Ce fut ensuite Paule Vaneck ! Elle m'a abaissé le timbre de la voix avec des exercices du Piccolo Teatro di Milano. Puis vint un long travail d'apprentissage sur le théâtre français, chez Monsieur Jean-Laurent Cochet. Sans oublier les amis et ma famille qui m'ont progressivement prendre conscience de mes mauvaises habitudes linguistiques.

Remontons à nouveau dans le temps... Au Théâtre de la Ville où M. Chevit m'avait présentée, j'ai décroché un travail de placeuse des spectateurs. Situation peu reluisante, en particulier quand quelqu'un qui me connaissait de Varsovie m'y voyait placer des gens plutôt que d'être sur la scène. Mais, le directeur a jugé que je ne pouvais même pas être figurante dans Le Chapeau de Paille" de Labiche ! Je devais me contenter de gagner ma vie en regardant, depuis les coulisses, chanter Mouloudji, danser Carolyn Carlson, jouer Anny Duperey dans La Guerre de Troie" de Giraudoux.

Une langue slave possède des sons qui couvrent un large spectre. Ce qui fait que ceux qui l'ont comme langue maternelle peuvent reproduire facilement les sons d'autres langues. Les Slaves, ils sont doués pour les langues disent les Français. D'accord. Mais l'accent ? Joue comme Elvire Popesco - m'a t'on dit - une partie de son succès est dû à son accent. Mais Popesco était Roumaine ! Ce qui change beaucoup de choses ! La différence est que sa langue d'origine est fortement imprégnée de consonances romanes !

Comment articuler le talent scénique, ingrédient indispensable au dire des connaisseurs en matière de théâtre et ce sacré accent qui sort comme le diable d'une boite, comme le disait Gabriela Zapolska - surtout lorsque le débit se doit d'être rapide, dans une scène véhémente ? Comment savoir si le son e dont la langue française recèle un nombre considérable dans ses formes plus ou moins accentuées - ou le o - doivent se prononcer de façon ouverte ou fermée ? La parole du texte doit couler comme une large rivière et la pensée aussi, même si elle semble suivre un autre courant, tout en maîtrisant le mouvement du corps, les situations de la scène, en donnant l'apparence de la facilité, mais avec quelle rigueur !

Les spectateurs ne se rendent pas forcément compte ce que c'est que de jouer en français pour un étranger ! Et si certains disent aujourd'hui que l'accent, on s'en fiche, on y reste le plus souvent bigrement sensible ! Et si on remonte un peu dans le temps... les rigoristes ne pardonnaient pas le moindre accroc.
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Pays d'accueil

Je m'avance sur un chemin frontalier étroit et sablonneux entre Allemagne et La Pologne. De l'autre côté de la frontière, je vois mes parents. Je fais encore quelques pas, et - non ! Mes pieds s'enfoncent dans le sol. Je m'arrête net. Je n'arrive pas à avancer. Quel émigré n'a pas fait un rêve semblable Le déracinement coûte beaucoup. Il est jonché d'angoisses, d'interrogations et d'étonnements. J'étais ahurie, en venant d'une Pologne qui cherchait à oublier la guerre, de rencontrer à Paris ceux, qui, le pavé à la main, cherchaient à bâtir un autre monde. Paris, le paisible Paris est devenu un enfer. Pour me déplacer à la fac, j'ai dû faire de l'auto-stop. Les cours ont été interrompus. J'ai rencontré des groupes de femmes agitées par le planning familial dans mon quartier...
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Par ailleurs, mon environnement a été envahi par de nouveaux paysages, des odeurs et parfums nouveaux, des visages nouveaux : tantôt curieux, tantôt indifférents et inamicaux... Une boutique avec, à profusion, des bananes, du lait non écrémé en berlingots bleus en forme de pyramide... A force de remuer cette sorte de boite, du beurre s'amasse au sommet - il suffit d'en couper le bout pour le savourer. Qu'est-ce que cette petite boutique de l'Île Saint-Louis sentait bon ! Sur le rebord des fenêtres, je vois des véritables jardins faits de pots de fleurs ; sur des balcons, chaque parcelle d'espace est utilisée pour la verdure ! Chose impossible en Pologne - climat oblige. Ici, à Paris, les maisons sont là depuis des années - un vrai musée d'histoire de France. En Pologne la guerre est passée par là, en balayant les paysages et des bâtiments. Varsovie a été rebâtie après la guerre, d'après les tableaux de Canaletto.
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Je m'étonne à Paris, du manque de savoir-vivre - pourtant réputé français, que diable ! Ma connaissance de l'étiquette à la française se bornait à la lecture assidue d'un journal polonais, très prisé, Przekrój, qui s'ouvrait vers le monde. La réalité à Paris n'a pas été virtuelle pour moi ! Elle m'a fait découvrir, par exemple, que des Français sont très friands de chair fraiche : cette érotisation de la vie quotidienne, admise ici, m'était insupportable. A l'époque où des employés faisaient encore des petits trous dans les billets, j'ai dû fuir dans le labyrinthe des couloirs du métro, poursuivie par des vrais satyres, des exhibitionnistes... et des voleurs ! En Pologne, on pratique toujours le baisemain, appuyé sur la peau et non tout juste esquissé. Les hommes tendent encore un manteau à une femme et lui apportent des fleurs... En France, non ! Enfin... pas souvent !
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J'aime beaucoup certains livres - ceux de Nancy Hudson ou d'Anca Visdei qui ont relaté leur expérience d'émigrée. Dans son livre Toujours ensemble, Anca Visdei raconte la réalité dans deux pays : la Roumanie où vit sa soeur et la Suisse où l'héroïne du livre a atterri après avoir fuit le régime de Ceausescu. Je me suis tout à fait retrouvée dans ces livres.
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Il y a ensuite le long processus d'adoption. Il faut que le pays d'adoption vous adopte. Et vous, que vous adoptiez d'étranges coutumes françaises qui vous sont inconnues. C'est maintenant fait. Cela a pris du temps mais c'est possible et tant mieux. Pour ceux qui sont "restés au pays", c'est autre chose. Ils vivent une autre réalité : pour eux la vie à Paris ou en Suisse, est à l'image, virtuelle, d'un pays de Cocagne.

mardi 30 septembre 2008

Kim Pani jest?

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- Élisabeth : Toi qui fais tant de voyages, tu n'es jamais allée aux États-Unis !-
- Astrid : Je préfère aller vers l'Est. Là-bas il s'est toujours passé, et il se passe encore, des événements passionnants, surtout pour les journalistes ! (...) Aujourd'hui le monde entier a les yeux tournés vers l'Est. Pour un temps, on est aussi friand des nouvelles de là-bas qu'on peut l'être de bananes vertes ou jaunes jusqu'à ce qu'elles commencent à pourrir !
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Ces répliques sont extraites d'une pièce traduite du polonais par Jeanne Bernava et Lisbeth Virol : Qui êtes-vous, Madame ? d'un auteur contemporain, Andrzej Niedoba. Les deux femmes qui se parlent sont deux Allemandes. L'action se passe de nos jours. Astrid, une journaliste, s'apprête à partir pour Rome. Une mystérieuse femme âgée s'introduit chez elle et entame une conversation qui revèle à Astrid ses véritables origines. Tout bascule.

La pièce a été représentée à la télévision polonaise dans une distribution prestigieuse : le rôle d'Astrid était tenu par Krystyna Janda - une actrice de renom - et celui d'Élisabeth par Mirosława Dubrawska. La semaine prochaine, le jeudi soir, le 16 octobre, on pourra revoir cette pièce à la télévision câblée, sur la chaîne polonaise TV Polonia.

Quelques lectures de cette pièce - une fois traduite en français - ont pu être présentées au public parisien. Cela a été le cas au Club Théâtre d'André Degaine, dans les découvertes animées par Xavier Jaillard, puis au théâtre du Nord-Ouest, sous la direction de Jean-Luc Jeener et Édith Garraud. Très récemment, le 30 septembre, la pièce a été accueillie par son directeur, Philippe Brizon, à L'Entrepôt, lieu des cultures situé dans le 14ème arrondissement. Les interprètes : Antoinette Guédy et Luna Virol.

Le public a réagi positivement à ce texte, qui évoque en arrière-plan la dernière guerre mondiale en Pologne et en Allemagne. La trame du texte se déroule d'une manière magistrale, laissant en suspens des questions qui touchent à l'identité d'Astrid. Ses certitudes sont totalement remises en cause après des révélations venant d'une femme inconnue.

lundi 22 septembre 2008

G. Zapolska à Paris

Debout comme des jeux de cartes, comme des jouets d'enfant posés sur le sol, les maisons de la banlieue de Paris défilaient devant les yeux de Janka. Le train, haletant comme une bête, avançait comme pour arriver vers son gîte. Il était en retard et fonçait devant lui, avec un grondement et le fracas de ses roues.

De deux côtés de la voie suivie par le train, des rails couleur rouille, des pylônes qui défilaient verticalement, aux lampes tantôt allumées, tantôt non, rouges ou vertes, et des murs qui s'élèvaient, gris, hauts, largement recouverts d'affiches au fond bleu, rouge, et jaune, pour de la réclame. Derrière tout cet arc-en-ciel de couleurs, des maisons qui montaient parfois vers le haut, masse blanche rincée par la pluie, parfois s'affalaient au plus près du sol ; et, dans le lointain, on voyait la dentelle de milliers de cheminées dressées.

Brûlant de fièvre, Janka avait appuyé son visage sur des barres du wagon et, à travers la vitre levée, absorbait en elle ces images, ces surfaces carrées dont les tonalités brunâtres envahissaient les rebords du défilé.

"Géraudel !" "Géraudel !" - lisait-elle de façon répétée. [...] Au milieu de cet amas de réclame, le train s'est mis à crisser, à gémir et il s'est engouffré de façon impétueuse sous la verrière d'un toit soutenu par des poutrelles grises, froides, sans style. Pareils à des animaux devant leur mangeoire, des trains au corps roussâtre étaient alignés, qui attendaient l'heure du départ.

C'est ainsi que, sous les traits de Janka, Gabriela Zapolska décrit son arrivée à Paris par le train venant de Varsovie.

Nous sommes à la fin du 19ème siècle, en 1889. L'Exposition Universelle bat son plein, La Tour Eiffel vient d'ouvrir ses portes au public. Jeune femme polonaise, Zapolska a 32 ans.

Traduction-adaptation par Luna et Arturo.
Tableau de Claude Monet.

lundi 15 septembre 2008

Mime

Alors que je commençais à percer sur la scène varsovienne, mon mari décide de s'installer en France... et moi à le suivre. Ne connaissant pratiquement pas la langue, je me rends rapidement compte de l'étendue du désastre : il me faudra du temps avant de pouvoir monter de nouveau sur scène. Seule solution qui s'impose : le mime. Une amie, Américaine relativement aisée, me paie des cours chez Jacques Lecoq. Même pour de simples exercices de respiration, je confondais les mots : inspirez, expirez - et je m'ennuyais. Ce n'est qu'en fin d'année que, à l'occasion d'un travail consistant à reproduire des animaux, des poissons, des minéraux, des éléments naturels comme le feu, le vent, l'orage, etc. j'ai choisi l'albatros. Jacques Lecoq a aimé mon oiseau et les élèves ont apprécié. Je me suis sentie décoller lourdement du sol, et puis m'envoler !

Voler ! Mais si nous avions, certes, étudié le mime au Conservatoire, ce n'était qu'une discipline parmi d'autres : tout comme l'escrime, le chant, la danse... J'ai compris que, même si elle me permettait de faire l'impasse sur l'expression par la parole, en français, ce ne serait pas ma tasse du thé. Une Colombine que j'incarnais - toujours dans le cadre du travail des élèves - accrochant du linge sur un fil invisible, et portant un seau, a été filmée et présentée à la télévision. Mais de cela faire un métier, je n'y pensais pas !

A mes yeux, il n'y avait que le mime Marcel Marceau, connu en Pologne, pour incarner la perfection et la création d'un personnage, au point d'en faire un vrai métier. J'ai eu la chance de le connaitre personnellement. Sa femme était Ela Jaroszewicz, étoile du théâtre de mime fondé par Tomaszewski à Wrocław. Ils m'ont invitée chez eux, dans les alentours de Paris. Ella m'a proposé de travailler avec elle dans les salles attenantes au théâtre de Champs-Élysées. Mais quatre ans d'études sur les textes, les auteurs, les styles... avaient laissé leur empreinte au cours de ma formation initiale : mon ambition restait de pouvoir parler sur scène - sans oublier de bouger, chanter, rire, pleurer, comme l'exige le répertoire si vaste du théâtre.

Un an plus tard, j'apprends l'existence du théâtre de la Cité Universitaire, dirigé par A.L. Perinetti. J'y débarque. Je découvre les ateliers de création et l'ouverture à d'autres styles de jeu. Je fais des rencontres avec des gens intéressants. Y compris s'agissant du mime ! Marcel Decroux ! Lorsque celui-ci monte son spectacle : La Violence, je peux en faire partie. Autre expérience du jeu du corps, dans Antigone d'après Sophocle, au Théâtre 91 de Malakoff, par la Compagnie Charbonnier-Kayath. Là, au moins, il y avait du chant ! Un choeur antique dont je faisais partie... qui court après la bataille et entonne des mélopées... Nous avons joué (sous la pluie) lors du Festival Méditerranéen, en Algérie, dans le théâtre romain qui s'élève parmi les ruines de Timgad, devant deux mille spectateurs. Ce fut ma dernière expérience du mime sur scène.
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lundi 8 septembre 2008

Une Poignée de sable

Lorsque, après le Conservatoire de Varsovie, j'ai été engagée au théâtre national de Częstochowa (ville où se trouve le célèbre sanctuaire de Jasna Góra, dédié à la Vierge Noire), August Kowalczyk, mon ancien directeur, montait la pièce d'un auteur encore peu connu - Jerzy Przezdziecki. Il m'a confié le rôle d'une jeune fille - Iwona qui, avec l'approbation de son père, s'aventure dans des dancings de pensions de vacances au bord de la Baltique. En fille moderne, Iwona rencontre des hommes, s'amuse, flirte avec eux, sans toutefois passer à l'acte. Un rôle secondaire mais, dans une pièce bien montée, il n'y a pas de rôles secondaires : l'ensemble de la pièce est important.
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J'ai repris ce rôle à Varsovie, au théâtre Rozmaitości, avec le même directeur, qui tenait le rôle principal, celui de Geza. Nous avons joué Une Poignée de sable plusieurs fois : en tournées, à travers la Pologne enneigée, dans un vieux bus enfumé, au milieu de la nuit pour arriver au théâtre avant l'aube. On faisait ainsi des économies d'hôtel et de restaurant. La pièce a été produite à la Télévision polonaise.
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L'auteur, Jerzy Przezdziecki, est désormais connu en Pologne. Il avait été traduit, publié et joué dans des pays anglophones et en Allemagne. Mais pas en France. Des années plus tard, cette pièce m'est revenue à la mémoire - j'ai eu envie de la traduire en français. Lorsqu'une pièce est bonne et transmet sur scène des idées qui ne se démentent pas dans le temps, elle commence à toucher à universel. Cette traduction a duré un certain temps - celui, pour ma co-traductrice, Jeanne Bernava, professeur de lettres au Lycée Montaigne, et moi, d'harmoniser nos deux professionnalismes, celui de la scène et celui d'une langue qu'elle maîtrise autrement que je ne le faisais.
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Comment rendre, par exemple, le caractère d'un personnage comme celui de Geza : beau sportif, à la dérive suite à un infarctus qui a brisé une carrière prometteuse, vivant depuis dans une cabane au bord de la Baltique, noyant son chagrin dans la vodka, ce qui n'arrangeait rien - plus des aspirations à devenir écrivain : avec une sensibilité à fleur de peau, il voyait et sentait les choses mais sans arriver à finaliser son projet. Lueur dans cette situation : une jeune femme, Anka, serveuse du bar de La Source, l'aimait et venait lui rendre visite. Une belle pièce. Suite à cette traduction, nous avons obtenu l'aide à la création du Ministère de la Culture - elle a été montée à l'Art-Studio-Théâtre par Kazem Sharyari.
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lundi 1 septembre 2008

Pastorałka

A peine les Fêtes de la Nativité et de la Nouvelle Année viennent de se terminer. L'étoile qui avait mené les bergers puis les trois Mages vers l'étable où l'enfant Jésus a reposé sur le foin, a pâli. Attirés par la lueur de cette étoile, ils étaient partis à la recherche du lieu saint. Mais, ici, Bethlehem se trouve près de Cracovie. Tel est le thème - pluridimensionnel - de la Pastorale du Polonais Leon Schiller - un chef-d'œuvre produit à un moment où la Pologne vient de recouvrer son indépendance.

L'auteur avait étudié les chants, les coutumes du Moyen-âge et du 18ème siècle, ainsi que le folklore. Il débute en 1919 par une Szopka staropolska (une crèche polonaise de jadis). Il ajoute des éléments musicaux qui en enrichissent les thèmes - laïques et religieux entremêlés. C'est le théâtre Reduta qui joue cette pièce, trois ans plus tard. En 1923-1924, Schiller en donne une nouvelle version, en neuf tableaux : La chute d'Adam et Eve ; L'Annonciation ; Marie et Joseph cherchent un abri ; L'Adoration des Anges ; Actus pastoralis ; L'Adoration des bergers ; Hérode-le-cruel ; L'Adoration des Rois ; Le Châtiment d'Hérode.

Pastorałka est un drame où la musique fait la jonction entre les différentes parties dialoguées, complète l'action et la souligne. Schiller a puisé dans les chants anciens de Kolberg et de Mioduszewski ; il a fouillé dans des documents de la Bibliothèque Jagiellon à Cracovie ; il a mis en évidence des perles du patrimoine polonais - ce qui a permis de créer une atmosphère unique. Avec Andrzej Pronaszko comme scénographe, Leon Schiller a proclamé la nécessité de réformes au théâtre : unité de la forme et du texte, interpénétration entre scénographie, mise-en scène et jeu de l'acteur. Les costumes doivent à l'imagination du scénographe, pour créer une sorte de sculpture vivante. La lumière doit se concentrer sur l'acteur uniquement. L'action débute sur proscénium. L'espace où évoluent les acteurs et l'endroit où se trouvent les spectateurs devaient former un seul ensemble...

Ma Professeur, Stanisława Perzanowska (une ancienne de Reduta), avait choisi cette pièce pour notre diplôme de la fin de la dernière année de Conservatoire. C'est une fois passée cette épreuve qu'il nous était permis de rejoindre les scènes nationales et d'avoir droit à l'appellation d'artistes (et encore !). Certains jouaient plusieurs rôles. Je me souviens de Jan Englert jouant Lajkonik et celui du Juif ; Eve, l'Âne, les Anges... par Basia Sołtysik, Jola Wołłejko, Ela Nowacka... Marian Opania, Andrzej Zaorski et d'autres dans le rôle de Bergers. Madame Perzanowska m'avait confié le rôle de la Sainte Vierge - que j'ai joué émue et heureuse. Le spectacle de la fin d'année attirait des directeurs du théâtre et de nombreux spectateurs. L'action se déroulait dans des mansions (compartiments scéniques). Les costumes étaient d'inspiration baroque. Les personnages de la Mort, d'Hérode, du Diable... gardaient le caractère de ceux d'une crèche traditionnelle de Cracovie. Nous devions apparaître comme d'authentiques gens venus du peuple qui, la nuit de Noël, se promènent sur la neige à la suite d'une étoile brandie par ceux qui sont en tête, et qui chantent devant les habitants des villages et de la campagne environnante. Ce fut une réussite.